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la fortune, sans songer qu’il vient de couper le seul pont qui liait son système à notre ordre social, et qu’entre eux maintenant il n’y a plus qu’un abîme. Il n’existe plus, en effet, aucun moyen de passer de son monde au nôtre ; il faut que les hommes riches, les hommes supérieurs se résignent à ne compter ici-bas que pour de simples unités, comme les plus inhabiles des artisans ; il faut que, désintéressés désormais de toute prétention, ils se trouvent suffisamment indemnisés par les joies d’une égalité parfaite et par le régime uniforme d’une communauté qui s’est interdit jusqu’à la plus innocente des rémunérations, la louange. Et, dernière et singulière contradiction ! après avoir formellement repoussé toute distinction et toute hiérarchie, M. Owen conclut à un ordre social gradué et à un gouvernement hiérarchique basé sur les âges. C’est toujours là que viennent échouer les formules impuissantes ; elles arrivent à des conclusions qui ruinent leurs prémisses.

CONCLUSION.

Dans ces deux idées fondamentales, la communauté et l’irresponsabilité humaine, repose toute la vertu du système de M. Owen : le reste porte sur des accessoires qu’il est surabondant de réveiller et de mettre en litige. Ce n’est pas qu’il n’y eût beaucoup à dire sur l’absorption de la famille dans la communauté, métamorphose qui demanderait autre chose que des indications vagues, sur l’état futur de la femme à laquelle on se contente de promettre une insaisissable égalité de droits, sur le rôle que devront jouer, dans le nouveau régime, les arts libéraux, les professions libérales, sources d’un travail qui ne peut ni s’évaluer à l’heure, ni se mesurer à la toise ; ce n’est pas qu’il n’y eût à signaler plus d’ellipses encore que d’erreurs, dans un programme tracé par une main évidemment inaccoutumée au jeu complet des théories ; mais au lieu d’épuiser cette critique et de sonder à fond ce terrain du blâme, nous aimons mieux nous reporter vers le côté saillant des études de M. Owen, et nous incliner de nouveau devant ses belles facultés d’expérimentations.

Nul, en effet, jusqu’ici, n’a manifesté, sous un plus beau jour que lui, le don divin d’agir sur les caractères par la bonté unie à la raison ; nul n’a témoigné une volonté plus persistante et plus généreuse de poursuivre et d’accomplir le bien ; nul n’a étudié les faits avec plus de patience et gouverné les hommes avec plus de moralité. New-Lanark est un titre qu’envieraient à M. Owen les théoriciens les