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armé de ses fortes études sur le moyen-âge, doué d’une riche imagination, et de cet instinct divinatoire qui faisait trouver à l’illustre Cuvier le système entier d’une génération antédiluvienne, s’est élancé sur le passé, et frappant de sa baguette magique les vieux temps, a réveillé des faits et des noms endormis dans la poudre des siècles. À son appel merveilleux, les héros de la féodalité ont repris leurs armures, les chevaliers normands ont envahi la Bretagne et courbé sous le joug la tête des Saxons ; puis la vieille Écosse a découvert ses lacs et ses montagnes, et au milieu de ses bruyères se sont agités des bohémiens mystérieux et des presbytériens sauvages. Si de nos temps il existe un écrivain qui ait eu le sentiment de l’épopée antique, c’est assurément sir Walter Scott, mais, malheureusement, il s’arrêta plus à la forme qu’au fond. Le développement des grandes passions et des grands caractères n’entra pas dans ses cadres. Il se contenta de tracer, avec force et vérité, les figures de quelques rois, de plusieurs chefs de clans, de montrer quelques haines de famille, et d’entr’ouvrir comme des fleurs naissantes, les amours discrètes de quelques femmes, mais presque toujours ce ne furent que des esquisses, des traits profonds, mais rapides et passagers, des portraits qui restèrent dans la demi-teinte, ou qui furent effacés par les couleurs plus brillantes des paysages et des peintures de mœurs. À prendre l’ensemble de ses compositions et à bien examiner ce qu’il a voulu faire, il est clair pour nous qu’il a attaché plus d’importance à la description de la nature, des mœurs et des coutumes des anciens temps, qu’au développement des caractères et des passions. L’écrivain a été plus curieux de décrire une fête, un tournoi, un lac et un château fort, que de vous dérouler les magnificences d’une passion comme celle d’Achille, ou que de vous montrer la constance et la volonté sublime d’un Ulysse aux prises avec le destin. Sous ce point de vue, nous pensons que le système adopté par Walter Scott, cet admirable peintre, est moins élevé, moins large, et moins dans le vrai éternel, que celui qui a été suivi par les romanciers précédens. Walter Scott, avec son brillant coloris, ses combinaisons ingénieuses d’évènemens, sa science profonde d’antiquaire, et son esprit d’observation, Walter Scott est, et restera dans le roman, comme une de ces étonnantes exceptions qu’il faut admirer plutôt que suivre. En effet, son influence sur la littérature européenne a été grande : il a enfanté une foule d’imitateurs ; mais on peut dire, quoiqu’il se soit trouvé des hommes d’un beau talent parmi eux, tels que Cooper et Manzoni, qu’il les a enrôlés tous d’avance sous sa bannière, et cela devait être ; ayant, ce nous semble, renversé l’ordre naturel des choses et fait de l’accessoire le principal, tous ceux qui, après lui, se sont jetés dans cette voie restreinte et exceptionnelle, se sont volontairement exposés, malgré leur mérite, au reproche d’imitation. Walter Scott, dans son système, a beaucoup de ressemblance, mais à une portée plus haute, avec la terrible Anne Radcliffe. Tous les deux, l’un en fait de peinture de mœurs et de résurrection historique, l’autre en fait de combinaisons d’accidens, d’évènemens mystérieux et de surprises effrayantes, ont après eux, comme on dit vulgairement, tiré la planche. Il n’en est pas de même