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SALON DE 1838.

bras, regarder en arrière avec terreur pour voir où est arrivée la monstrueuse vague qui engloutit le genre humain. Il devrait surtout se taire ; à quoi bon crier en pareille occasion, et quel secours invoquer ? — Le Génie du mal, de M. Droz, et le Caïn maudit, de M. Jouffroy, se ressemblent pour la conception. Pourquoi M. Droz a-t-il encore reproduit l’éternel Caracalla ? Son génie du mal n’est ni assez fier, ni assez spirituel ; il pense trop au mal qu’il doit faire. M. Triqueti fait habilement le pastiche ; c’est le chef de l’école de la renaissance gothique en sculpture. Sa Vierge et son enfant Jésus ont été détachés du mur de quelque vieille chapelle ; on s’étonne seulement du respect que le temps a montré pour leurs contours naïfs et délicats. Ses vases sont des chefs-d’œuvre, les Florentins n’ont pas mieux fait.

Nous voudrions dire un mot des peintres de miniature et des porcelaines ; mais nous avons vainement cherché au salon les ouvrages de Mme de Mirbel et de M. Saint : la petite peinture a voulu faire comme la grande et briller par son absence. En revanche, la peinture sur porcelaine a produit une œuvre extrêmement remarquable : la copie des Moissonneurs de Léopold Robert, par Mlle Pauline Laurent.

Cette année, par une heureuse disposition que nous voudrions voir adopter à l’avenir, le tiers seulement de la galerie des anciens tableaux a été occupé par les modernes. À la hauteur de la deuxième travée flamande, un rideau séparait les écoles mortes de l’école actuelle. Le rideau s’ouvrait, on pénétrait dans le sanctuaire, et du présent on remontait dans le passé. L’effet de cette brusque transition est des plus étranges ; c’est le silence après le bruit, un demi-jour suave après un feu d’artifice. L’œil se repose avec délices de l’éblouissement et de la fatigue que lui ont causés l’éclat violent, la crudité et même la richesse de coloris de tous ces tableaux achevés de la veille. L’esprit se délasse des efforts qu’il a dû faire pour se reconnaître au milieu de tant de sujets où l’étrangeté des formes le disputait à la bizarrerie de la composition. Il semble, en effet, que chacun des personnages de ces tableaux veuille se faire à toute force écouter du public, crie plus fort que son voisin, et prenne les attitudes les plus sauvages pour s’en faire remarquer ; il en résulte une sorte de tumulte éblouissant, de brillante et bizarre confusion. Une heure de retraite dans les anciennes galeries est le meilleur remède à l’étourdissement que vous causent ce mouvement et cet éclat. Là tout est calme et harmonieux. Le vernis doré du temps, répandu également sur chacune de ces vénérables toiles, en a adouci les teintes vives et trop ardentes, jeté un voile tendre sur les formes les plus rudes et les plus tourmentées ; et puis, nous devons l’avouer, plus on retourne dans le passé, plus l’art semble grand dans ses bizarreries, sage dans ses licences, contenu dans sa fougue. Les débauches de couleur de ces vieux maîtres paraissent plus harmonieuses, l’extrême audace du mouvement de leurs figures plus savante et plus vraie. Chez eux, l’expression énergique est toujours simple, la recherche toujours naïve, la volupté toujours décente. Ces hommes rares avaient, il est vrai, l’insigne bonheur d’arriver les premiers. Ils pouvaient imaginer simplement sans