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SALON DE 1838.

ses idées, mais les idées d’autrui, brise avec colère son pinceau, qui se révolte et obéit à un autre.

Le paysage est néanmoins l’une des branches les plus florissantes de l’art de la peinture. Il y a progrès dans l’une et l’autre école, dans l’école du style et dans l’école de la nature. L’école du style pourrait se diviser en école poétique et école historique. Les poètes, ce sont MM. Cabat, Huet, Marilhat, Lapito et Remond, et les historiens, MM. Bertin, Aligny, Desgoffe et Corot.

Nous avons rangé M. Cabat au nombre des poètes ; c’est un transfuge de l’école de la nature. Hier, M. Cabat, rigoureux jusqu’à la minutie, poussait la précision jusqu’à copier chacune des fleurs qui émaillaient le gazon des prairies, chacun des oiseaux ou des papillons qui peuplaient l’air ; aujourd’hui, M. Cabat ne s’occupe plus que de la masse. Il sacrifie tout détail, et cherche évidemment le style calme et sobre du Poussin, la couleur solide, mais un peu triste, du Dominiquin. M. Cabat, homme d’un vrai talent, n’a cependant jamais été le peintre de la lumière ; cette fois, dans sa Vallée de Narni, il a reproduit un effet crépusculaire, et il a été moins lumineux que jamais. Il a cherché les lignes simples et majestueuses, mais cette simplicité, qu’il outre, ne va-t-elle pas jusqu’à la monotonie ? Son amour pour la ligne droite et horizontale l’a conduit à exagérer le parallélisme des terrains et des plans, et le parallélisme appliqué au sol accidenté de l’Italie est fâcheux, à notre avis, et donne à la vallée de Narni l’air d’une prairie normande. M. Cabat a traité ses arbres dans le même système de cadencement uniforme. Ses arbres, de formes semblables, et dont les masses dessinent l’éventail, sont agencés avec une adresse qui approche de la manière. C’est dans cette disposition des masses que réside la poésie, répètent les admirateurs de M. Cabat. Pour nous, nous aimons mieux la vérité toute nue que cette poésie apprêtée, et M. Cabat est, quand il le veut, le plus simple et le plus vrai des paysagistes. Nous savons que ces paroles vont troubler le concert d’éloges qui a accueilli les nouveaux essais de M. Cabat. En France, les habitudes de la critique sont singulières ; elle ne peut jamais se résigner à prendre les hommes tels qu’ils sont, et à les engager à abonder dans leur sens pour y exceller. La critique a commencé par porter aux nues M. Cabat, le grand naturaliste. Wynants et Ruisdael n’étaient rien auprès de lui. Mais bientôt elle s’est dégoûtée du Wynants et du Ruisdael, et elle a dit à M. Cabat : Faites-nous du style et de la poésie. M. Cabat a autant de modestie que de talent. Il a écouté la critique ; il a fait du style. Aussi le proclame-t-on l’égal de Nicolas Poussin, comme on le proclamait l’égal de Ruisdael. M. Cabat apprendra à se défier de ces conseils dangereux, de ces perfides éloges. Au lieu de courir de Ruisdael à Nicolas Poussin, il saura être lui, et nous aurons un grand paysagiste de plus.

M. Paul Huet, du moins, est aujourd’hui ce qu’il a toujours été. M. P. Huet n’a jamais cherché la précision, peut-être parce qu’il a débuté sans avoir la science, qui permet seule d’être précis. S’il ne s’est pas élevé jusqu’au rendu, il possède, en revanche, un beau sentiment de la masse et de l’ensemble. Des critiques qui ont certainement une haute intelligence de l’art ont voulu