Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/401

Cette page a été validée par deux contributeurs.
397
SALON DE 1838.

que le public se prononce vivement pour M. Dubuffe contre la critique. M. Dubuffe lui fait plaisir ; mais de quelle façon et par quel moyen ?

Il n’est personne qui, à la vue des grotesques de Dantan, ne se soit demandé comment l’habile statuaire de petites caricatures de plâtre pouvait rendre si énormes les ridicules de ses modèles, et néanmoins conserver si parfaitement leur ressemblance. Ce que Dantan fait en exagérant les imperfections de la physionomie humaine, les tics et les habitudes vicieuses du corps, et cela avec un grand air de laideur et une verve de ridicule inépuisable, M. Dubuffe l’a tenté au rebours. Au lieu de faire la caricature en laid, il a fait la caricature en beau. Il n’embellit pas la beauté, mais il atténue la laideur qu’il rend gracieuse. Il a appliqué l’orthopédie à la peinture ; il corrige admirablement les difformités de la taille ou du visage ; il garnit à souhait les corsets ou les lace de façon à amincir merveilleusement la taille. Il rapetisse les pieds, blanchit les mains qu’il effile, arrondit les bras qu’il désosse ; il pâlit ou colore à volonté le visage de ses modèles, teint leurs cheveux du blond le plus vaporeux ou du noir de jais le plus vif ; il diminue leurs bouches aux lèvres toujours vermeilles ; il agrandit les yeux qu’il sait ouvrir en amandes, d’une façon dont lui seul a le secret. Il jette toutes ses figures avec un abandon et une coquetterie qui rappellent toujours le peintre des Souvenirs et des Regrets ; aussi toutes ses poses sont-elles gracieuses, tous ses visages sont-ils jolis, tous ses portraits sont-ils délicieux. Délicieux ! Voilà un mot qui veut tout dire ; malheureusement les jolies bouches qui le prononcent en sont beaucoup trop prodigues. Tout ce qui leur plaît est délicieux, ce mot s’applique à tout, à une robe ou à un chapeau, comme à un livre, à un drame ou à un tableau. Pour qu’elles trouvent délicieux les portraits de M. Dubuffe, il faut que M. Dubuffe ait trouvé le moyen de leur plaire. Ce moyen est bien simple. Il a suffi de l’employer quelques minutes pour séduire la première femme. Ce moyen, c’est la flatterie. M. Dubuffe est un grand flatteur. Faire toutes les femmes jolies, c’est leur dire qu’elles le sont, et elles se le persuadent assez facilement ; M. Dubuffe le leur dit à toutes, et toutes le croient ; aussi M. Dubuffe est-il adorable. C’est le peintre de la femme du XIXe siècle, comme M. de Balzac en est l’historien ; c’est le restaurateur de la beauté moderne et de la grâce contemporaine… c’est le Corrége de l’époque, disent ses plus chaudes admiratrices, qui savent vaguement qu’il exista autrefois un peintre de ce nom, et qui l’ont entendu vanter comme le modèle de la grace. Permis à M. Dubuffe d’être un adroit flatteur ; mais le comparer à Corrége, c’est par trop fort, c’est payer la flatterie à de gros intérêts. La grace moderne, la beauté contemporaine, c’est de la beauté fort discutable, de la grace maniérée. De sévères critiques ont reproché à M. Dubuffe de ne pas faire même de la mauvaise peinture. Nous serons plus indulgent : M. Dubuffe, pour nous, est le chef des maniéristes gracieux. Mais si M. Dubuffe se mettait à la suite du Corrége, son erreur serait extrême, et il s’exposerait de nouveau à toutes les colères et à tous les dédains de la critique. Diderot nous raconte que l’abbé Cossat, curé de Saint-Remy, étant un jour monté