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terhalter a assez de talent, pour se rendre complète justice. Il sait ce que signifient ces succès d’engouement ; il n’ignore pas qu’ils sont le partage ordinaire de l’à peu près séduisant de la haute et coquette médiocrité ; il voudra en obtenir, sinon de plus réels, du moins de mieux mérités.

Nous nous rappelons encore le brillant coup d’essai de M. Court. C’était au fort de la guerre des classiques et des romantiques ; M. Court, lauréat de l’Académie, envoya de Rome une belle et vigoureuse esquisse du Déluge, et son grand tableau de la Mort de César. L’effet de ces deux tableaux passa sans doute les espérances de l’auteur. M. Court avait peint dans toute la naïveté de son ame, sans vouloir plaire à aucun des deux partis ; et comme tous ceux qui cherchent avant tout à se satisfaire eux-mêmes, il satisfit tout le monde. Les classiques virent là un continuateur de leur manière, les romantiques une transformation du genre classique ; le tableau de M. Court, peint sous l’inspiration de la nature romaine d’aujourd’hui, n’était classique que par le sujet et ressemblait plutôt au drame de Shakspeare qu’à la tragédie de Voltaire. La Mort de César promettait un peintre, la vérité et la science s’y combinaient heureusement avec la fougue : le coloris seul en était reprochable ; mais néanmoins il y avait dans l’ensemble de cette vaste composition comme un lointain souvenir du Dominiquin. Depuis, M. Court a quitté cette voie large et féconde ; a-t-il eu tort ? a-t-il eu raison ? L’avenir décidera.

Avouons-le franchement : pour nous, nous préférons de beaucoup le peintre du Déluge et de la Mort de César au peintre de l’Odalisque et de la Rosea-Déa, et les tuniques et les robes des vieux Romains aux robes de satin et de velours. M. Court est néanmoins l’un des bons peintres de portrait de l’époque. On retrouve même, dans son portrait de M. Fontaine, la manière vigoureuse et la science de l’auteur du Déluge ; la pose en est noble, la couleur harmonieuse, qualité rare chez M. Court. Le portrait de miss White est réussi, mais pourquoi ces fonds d’un gris si bleu et si cru ? Nous ferons le même reproche aux fonds du portrait de Mme de Behague : ces fonds gris nuisent à l’éclat des carnations, qui, de vives et éblouissantes qu’elles devraient être, deviennent ternes et violacées. M. Court ne flatte pas ses modèles comme M. Dubuffe : il peint assez habituellement comme il voit ; aussi croyons-nous qu’il a peint de mémoire les imperceptibles pieds de toutes ces dames.

Parler de M. Dubuffe, analyser son genre de talent, c’est traiter un sujet des plus délicats. Comment faire son procès à un artiste qui a du succès, sans faire en même temps le sien au public dispensateur de ce succès ? L’artiste favori du public ne peut manquer de prendre en haine ou en pitié le critique qui discute son plus ou moins de mérite, au risque de lui enlever son public ; le public, de son côté, voit d’un assez mauvais œil tout homme qui se donne le ton d’avoir à lui tout seul plus d’esprit et meilleur goût que lui ; son amour-propre et son bon goût sont engagés ; il se passionne pour ce qui lui plaît autant par vanité que par reconnaissance. Nous concevons qu’on soit du parti de son plaisir et qu’on ait beaucoup de vanité ; nous concevons donc