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thèse théologique, épuisée à diverses fois par les aigles de la controverse religieuse. C’est le plaidoyer de la liberté contre la nécessité, le conflit célèbre du libre arbitre, l’arène où saint Augustin vint se mesurer contre le moine Pélage, saint Bernard contre Abailard, Leibnitz contre Bayle, et où descendirent, à des titres divers, Shaftsbury, Zwingle, Arnaud de Villeneuve et cent autres ? À moins de vouloir tomber dans l’ergotisme, il n’y a plus à discuter là-dessus : c’est une question qui ne se résout que par la conscience. Que répondre à un système qui veut que l’homme soit une brute, obéissant au caveçon de la fatalité ? Que répondre à une théorie qui nie l’action de l’individu et sur son organisation et sur les circonstances ambiantes, son influence sur ses convictions et sur ses sentimens, sa liberté dans ses actes ? Avec M. Owen, il ne reste plus rien à faire à l’intelligence ; elle n’a aucune initiative à prendre, car elle obéit ; aucune faculté spontanée à exercer, car elle est toujours opprimée et passive. Et ce qu’il y a de plus étrange, c’est que M. Owen, dans un des statuts de son code social, proclame la liberté de conscience, laquelle n’est pas, que nous sachions, autre chose qu’un attribut de la volonté. Placé sur cette mauvaise pente du paralogisme, M. Owen est entraîné à d’autres contradictions : il consacre le droit, qui devient un titre pour l’individu, et nie le devoir, qui est la contre-valeur de ce titre ; enfin il reconnaît formellement le bien et le mal, les classe, les distingue. Or, distinguer, c’est opter, c’est faire acte de consentement, de volonté, de liberté.

Si M. Owen s’arme ainsi d’un principe que repousse la dignité humaine, ce n’est pas, il faut lui rendre cette justice, pour marcher à la conquête d’une résignation stupide, comme le fait la loi orientale, ou d’une excuse souveraine en faveur du crime, comme l’ont tenté quelques phrénologistes. Il veut fonder le règne de la bienveillance, la religion de la bienveillance, voilà tout. Mais là encore nous craignons qu’il ne s’abuse. De ce qu’on se sera dit et prouvé que l’homme est une machine, et qu’il ne faut pas lui tenir compte plus qu’à une machine du bien ou du mal qu’il fait, on n’en arrivera pas à avoir de l’affection pour l’humanité, mais de la pitié et presque de l’indifférence. L’amour, la charité, ne sont pas des sentimens inertes, mais chauds et actifs. On ne s’éprend pas d’une machine, on ne se dévoue pas à une machine, et l’idée qu’une passion n’est que le résultat d’un engrenage fortuit suffit pour tuer toute passion. Il était donc inutile de violenter les consciences pour faire accepter des prémisses aussi pauvres en solutions. L’amélioration des circon-