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naturaliser Français. Sous les rois très chrétiens, l’adolescent devint un saint homme, et, tout en se proclamant le soutien du trône et de l’autel, il révolutionna l’empire des lettres. Le marteau des démolisseurs faisait alors une rude guerre aux vieux édifices qu’il aimait ; sous prétexte de rétablir les ruines que faisaient ces nouveaux Vandales, il s’arma de la truelle du maçon ou du crayon du dessinateur, et fit invasion dans les domaines de l’art. Les manoirs féodaux, les gothiques cathédrales et l’art normand tout entier, habilement calqués, reparurent dans toute leur majesté. Des édifices, demeures de l’homme, on passa à l’homme même, à son histoire et à ses mœurs. On fouilla les chartes oubliées, on déchiffra les poudreux manuscrits aux vignettes marginales ; on déroula les vieux parchemins avec autant d’amour que vingt ans auparavant on déployait les antiques manuscrits d’Herculanum et de Pompeia. Les trouvailles furent nombreuses ; un nouveau monde fut découvert en même temps qu’une nouvelle histoire et qu’un nouvel art. On sait quel fut le succès des poètes de cette école moderne : celui des peintres fut plus grand encore, et cependant, il faut le dire, ce nouvel art n’était que de la renaissance gothique. On se jeta en effet sur les monumens des écoles florentines, allemandes, ou même bysantines, avec la même fureur que naguère on s’était jeté sur les bas-reliefs et les statues grecs ; on les exploita avec le même sans gêne, on les copia avec la même servilité. La tendance à l’imitation n’avait pas changé, l’objet seul en était différent. MM. Scheffer, Saint-Èvre, Devéria, Delaroche et Triqueti se placèrent à la tête de la nouvelle école. Tous les hommes qui trouvent plus facile de copier que d’inventer, auxquels la volonté manque pour se créer une manière qui leur soit propre et se faire un art à eux, les débutans qui cherchent le nouveau, et les déserteurs de l’académie, se ruèrent à leur suite, et obéirent à l’impulsion donnée. Toutes les époques de l’histoire et de l’art moderne, depuis Charlemagne jusqu’à Louis XV, des mosaïstes vénitiens (1071) à Boucher, furent du domaine du moyen-âge ; on le chercha dans les costumes, dans les mœurs, dans les monumens ; et, de Giunta Pisano, de Guido de Sienne (1210-1221) aux Vanloo, de Cellini à Boule, des Pisans à Pigale, tout ouvrage d’art fut inventorié comme œuvre du moyen-âge. Pierre Bontemps, Paul Ponce et Jean Cousin furent mis sur la même ligne que Coustou, Bouchardon, Lemoine et Falconnet : le moyen-âge fut partout, s’étendit à tout. Si nous critiquons l’abus et le faux emploi du mot, nous ne prétendons nullement interdire l’usage raisonné de la chose et proscrire le choix de sujets pris dans l’histoire des derniers siècles. Loin de nous cette étroite manière de voir : l’art doit être quelque peu âpre à s’enrichir, il doit prendre à toutes mains pour dépenser de même ; mais ce qu’il prend, il ne doit pas le rendre tel qu’il l’a pris : le plomb qu’il touche doit se changer en or.

Cette année l’école du moyen-âge, historique et anecdotique, s’est montrée moins nombreuse et moins décidée que dans de précédentes expositions : il est vrai que à MM. Delaroche, Scheffer et Saint-Èvre ont fait défaut. Parmi les lieutenans auxquels ils ont laissé le soin de les représenter, les uns, comme