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SALON DE 1838.

malgré cette auréole, je ne reconnais pas là le Dieu fait homme. Tous ces artistes, et beaucoup d’autres dont nous ne pouvons nous occuper, n’ont donc de religieux que le nom. On peut s’amuser de leurs tableaux comme de curieux objets d’art, comme d’agréables fantaisies ; mais ce ne sont pas là des ouvrages chrétiens. La faute n’en est pas à eux, hommes de talent et de conscience ; la faute en est à leur temps. Les peintres du XIVe et du XVe siècle, espagnols, allemands ou italiens, étaient de bons croyans, fréquentant les églises, se préparant au travail par la prière et la communion. Aujourd’hui, est-il un peintre qui en fasse autant ? Nous craignons donc que les efforts de ceux de nos artistes que des esprits plus systématiques que sincères veulent enrôler sous les bannières de l’art qu’ils appellent religieux, ne soient pas couronnés de tout le succès qu’ils attendent. Sous la restauration, une tentative du même genre fut malheureuse ; celle-ci pourrait l’être tout autant.

Les faiseurs de systèmes semblent avoir déserté l’Allemagne pour la France ; on en fabrique à propos d’art comme à propos de politique ou de morale, et on les envoie à l’adresse des artistes ; on les veut philosophes, humanitaires ou mystiques : chacun a son idée, la prône et y tient. Qu’est-ce que l’art humanitaire ? nous n’avons pu le comprendre encore et probablement nous ne le comprendrons jamais, car je doute fort que jamais nous puissions voir un tableau ou une statue humanitaire. La pensée mystique ou religieuse est plus saisissable ; elle a produit. Mais peut-elle produire encore ? Elle prend en pitié la philosophie de l’art, et elle a raison, la philosophie de l’art n’étant encore qu’un de ces mots vides et redondans que le siècle a mis à la mode ; elle décline la compétence de la critique, qu’elle raille agréablement en se déclarant d’avance encroûtée et fanatique : la pensée mystique, comme on voit, connaît ses côtés faibles. Quoi qu’il en soit, le mysticisme de l’art en plein XIXe siècle est peut-être plus déraisonnable encore que la philosophie de l’art. L’art catholique a fait son temps : qu’on admire les monumens qu’il nous a laissés, monumens souvent merveilleux, nous sommes loin de le nier ; mais qu’on n’essaie pas de les refaire, pas plus les tableaux que les édifices. Les édifices, vous ne le pourriez pas avec la société organisée comme elle l’est, et, pour le bonheur de cette société, les moyens matériels vous manqueraient ; les tableaux, vous ne le pourriez pas non plus, les moyens intellectuels vous feraient défaut. Où trouveriez-vous la foi pour refaire votre art religieux ? la foi, l’avez-vous ? Descendez en vous-même, et répondez. La foi sincère n’est ni si bruyante ni si ambitieuse ; elle a dit : « Hors de l’église point de salut, » parce qu’elle a dû le dire ; elle n’a jamais dit : « Hors du catholicisme point d’art, » parce que l’art a existé long-temps avant le catholicisme, et que, s’il plaît à Dieu, l’art n’est point mort.

La peinture religieuse nous conduit naturellement à la peinture dite moyen-âge ; car c’est là aussi de la peinture résurrectioniste.

Le moyen-âge est l’enfant du siècle ; il est sorti tout armé de la tête de Goëthe, comme Minerve du cerveau de Jupiter, sous l’héroïque figure de Goëtz de Berlichingen : Mme de Staël et Châteaubriand l’adoptèrent et le firent