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bien aussi de l’afféterie dans ces figures d’anges aux formes sveltes, aux doux yeux, qui ressemblent à de jolies Anglaises au dos desquelles on aurait attaché de grandes ailes. La Charité de M. Brémond, c’est une belle femme brune, d’une expression tendre et réfléchie, avec plusieurs couples de jolis enfans répandus sur elle et autour d’elle, les uns s’attachant à son sein nu, les autres ramassant les fruits et les fleurs tombées de son giron. La couleur de ce tableau est séduisante, et les détails en sont pleins de fraîcheur. L’enfant de droite, qui s’éloigne chargé de fruits, est l’une des plus ravissantes figures d’enfant qui soient au Musée ; mais n’y a-t-il pas un peu de coquetterie dans tout l’ensemble de cette composition ? La belle femme brune n’est-elle pas un peu profane ? Il est vrai que cette femme c’est la Charité ; je n’ose donc insister, car il y aurait peut-être mauvaise grace à vouloir la Charité plus sévère. M. Decaisne avait exposé, dans l’un des précédens salons, un tableau de l’Ange gardien. La figure de l’ange, où le peintre avait réuni avec assez de bonheur l’expression de la tendresse de la mère et de la force du père, avait fait le succès de ce tableau. Cette fois, M. Decaisne peint la Méditation de la Vierge, sujet d’un vague mysticisme, et il n’a rien trouvé de mieux à faire que d’entourer la Vierge méditant d’une vingtaine d’anges tous calqués sur le type de son Ange gardien, espérant sans doute obtenir de cette façon vingt fois plus de succès. Ce que nous avons dit des anges de M. Devéria, nous le répéterons à propos des Vierges de M. Leloir et des Vertus théologales de M. Brune ; vierges et vertus sont tout-à-fait humaines. À leurs sourires pleins d’une gracieuse mélancolie, je reconnais de rêveuses filles du XIXe siècle. Le Martyre de saint Étienne, de M. Mottez, est une de ces compositions colossales qui rappellent Jouvenet, d’ordonnance large, simple, mais raide et sentant l’académie ; de couleur sage, mais terne. M. Mottez a eu sans doute la conscience de ce dernier défaut. Il a voulu réchauffer la froideur de son coloris en réhaussant d’or les vêtemens de ses personnages et l’auréole de son martyr. L’effet de cet or est malheureux. On dirait des parcelles de la bordure qui se seraient répandues sur le tableau. Cet or fait tache, et voilà tout. C’est un emprunt fait à la peinture bysantine, et tout emprunt de ce genre est puéril. Pourquoi ne pas emprunter aussi à ces naïfs ouvriers du XIIIe siècle ces clés d’or en saillie, travaillées par le serrurier, qu’ils ne manquaient jamais d’attacher, au moyen d’un anneau, à la main de saint Pierre ; ces couronnes et ces agrafes d’or, ornées de pierreries, que l’orfèvre enchâssait dans leurs tableaux ; ces manches de poignard et ces gardes d’épée qui sortaient grotesquement de la toile ? Nous condamnons absolument cet emploi de l’or dans les auréoles et les vêtemens. C’est mêler le réel et l’imaginaire, le mensonge et la vérité ; c’est donner en plein dans le faux. L’art n’est point là. M. Lacaze n’a pas conçu son sujet du Christ bénissant les enfans d’une manière plus orthodoxe : son Jésus-Christ est un jeune homme tendre et bon ; mais, malgré l’auréole dont M. Lacaze a entouré sa tête (auréole empruntée à M. E. Bertin, et d’un effet malheureux, puisqu’elle a obligé l’artiste, qui a voulu lui donner un vif éclat, à éteindre toutes les lumières de son tableau) ;