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pelle les sveltes et gracieuses figures que Murillo a fait descendre des cieux sur sa toile, dans ses tableaux d’Abraham devant les anges et du saint Pierre aux liens. Cette figure d’ange, d’un dessin faible, sans grand caractère et d’un coloris un peu conventionnel, est pleine cependant d’une grace candide et forte, d’un éclat soyeux et rayonnant, qui convient bien à ces êtres immatériels qui doivent apporter avec eux un peu de la splendeur des cieux ; l’ange s’est précipité au-devant des lions, il a replié ses ailes blanches nuancées de rose, ses bras sont ouverts et désarmés, il est fort de la force de Dieu. Les lions rugissent, leur gueule est béante, mais ils vont lécher les pieds du céleste messager ; l’un de ces lions, celui qui courbe la tête en grondant, nous a paru une réminiscence du lion au serpent de M. Barye. L’ange est sans doute invisible pour le prophète, car il prie ; son œil levé au ciel, sa tête rejetée en arrière, montrent combien sa prière est fervente ; peut-être y a-t-il quelque chose de raide et de théâtral dans la disposition de cette figure que l’ame semble déjà avoir abandonnée pour tendre vers les cieux, et qu’une morsure de lion pourrait seule réveiller de son extase.

M. Ziegler s’est placé à la tête d’une école franco-espagnole qui doit prospérer, et qui, de 1838 à 1850, finira sans doute par tout envahir. Cette école a pour elle la mode, le besoin du changement, et toute une légion d’auxiliaires lui est venue de par-delà les Pyrénées. Loin de nous cependant la pensée de mettre M. Ziegler à la queue de l’école espagnole ; M. Ziegler est assez riche de son propre fonds pour être lui ; il a vu les Espagnols, il a profité de ce qu’il avait vu, mais il ne les a pas copiés. Si Murillo et Vélasquez l’ont initié à la magie du clair-obscur, à la suavité et aux délicatesses du coloris, M. Ingres lui a expliqué Raphaël, c’est-à-dire le contour, les belles et correctes proportions et le grand dessin. Cette heureuse fusion de deux manières opposées fera de M. Ziegler un homme à part ; et s’il arrive à concevoir aussi fortement qu’il voit largement et qu’il exécute savamment, il ne peut manquer de s’élever à une hauteur où peu ont atteint. Nous l’attendons avec confiance à la coupole de la Madeleine.

M. Brune se rapproche de M. Ziegler plutôt par l’exécution que par le choix de ses sujets, seulement il est moins sobre et moins contenu, et l’on ne retrouve plus chez lui l’élève de M. Ingres. Il est difficile de fixer des limites à l’art : aussi ne repoussons-nous pas absolument, comme d’autres l’ont fait, le sujet qu’a traité M. Brune. Cependant, peindre les visions de l’Apocalypse, c’est peindre des rêves et peut-être faire abus d’un beau talent ; on ne peut qu’étonner, on ne doit pas s’attendre à plaire, car nulle sympathie n’est possible entre le spectateur et les êtres fantastiques qu’on lui montre. Ne pouvant pas émouvoir le spectateur, il faudrait du moins lui faire peur, l’obséder en créant de monstrueux fantômes, comme ceux qui remplissent les cercles de l’enfer de Dante ; il faudrait surtout s’emparer de l’espace comme l’Anglais Martin, ce peintre incorrect et surprenant, qui, dans des toiles de quelques pieds, a su renfermer les prodigieuses scènes de la Bible, en leur conservant quelque chose de leur mystérieuse poésie, de leur gigantesque