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SALON DE 1838.

modelée par plans et d’un gris trop terreux. Ce ton gris donne à toute cette composition quelque chose d’inachevé, et y répand une froideur que nous n’aurions pas cru rencontrer dans un tableau de M. Gigoux, et surtout dans un tableau dont le sujet est égyptien. Nous attribuerons encore cette froideur au parti pris. M. Gigoux, à qui on reprochait un peu de lourdeur, a voulu être éclatant en renonçant aux ressources ordinaires du clair-obscur. Son tableau, sans ombres fortes, abonde en demi-teintes et en lumières rompues et diffuses ; de là son aspect froid et son manque de relief. Nous ne condamnons pas le nouveau système de couleur de M. Gigoux, nous en critiquons seulement le résultat. Paul Véronèse a été grand coloriste d’après un procédé analogue. Ses tableaux sans noirs ne présentent jamais de ces grands partis pris, de ces sacrifices, dont Rubens, Rembrandt et la plupart des coloristes flamands ont été si prodigues ; il ne cherche jamais l’effet, et la lumière rayonne de tous les points de sa toile ; on croirait voir la nature par une fenêtre ouverte. Mais par quelles surprenantes combinaisons est-il arrivé là, et quelle science de coloriste ne décèlent pas ses tableaux ! M. Gigoux peut devenir un peintre fort distingué ; qu’il se garde cependant de la peinture érudite, de la contradiction systématique, et encore plus du calcul réactionnaire. La contradiction et le calcul, c’est l’originalité des impuissans, ce ne doit pas être la sienne ; la contradiction n’est pas plus du talent que le calcul n’est de la science ; ce sont des défauts qu’on peut confondre avec des qualités, mais ce ne sont pas moins des défauts.

Aucune des observations que nous venons d’adresser à M. Gigoux n’est applicable à M. Ziegler ; si M. Gigoux a des prétentions au titre de peintre penseur, M. Ziegler fait peut-être trop bon marché de la pensée : ses conceptions manquent de force et de profondeur ; en revanche, son exécution a un grand charme et brille par une aisance admirable et une inépuisable fécondité. M. Ziegler a cependant fait ses premières armes sous M. Ingres ; naguère encore il peignait sèchement de petites figures aux carnations bises, orangées ou couleur de brique, que couvraient de maigres draperies, symétriquement plissées, bizarrement nuancées de jaune clair, de rouge carminé, de bleu léger ou de vert pomme, et qui se découpaient crûment sur des fonds lilas, bruns ou tout blancs. Tout à coup son talent se révéla, et nous avons lieu de croire que cette révélation se fit devant quelque beau tableau espagnol, un jour que M. Ziegler avait déserté l’atelier du maître. Giotto, saint George combattant le Dragon, et plusieurs beaux portraits, signalèrent cette nouvelle époque de son talent ; ces tableaux, mais surtout le saint George à l’armure dorée, placèrent M. Ziegler hors de ligne. M. Ziegler est le fils de l’art espagnol, mais de l’art espagnol châtié ; son coloris est éclatant et solide, son style rigoureux et large, son dessin correct et arrêté, de sorte que dans ses compositions les plus faciles on sent encore l’élève de M. Ingres. Le tableau de Daniel dans la fosse aux lions est un ouvrage fort remarquable, mais M. Ziegler promet bien plus encore et tiendra tout ce qu’il promet ; son Daniel ressemble à un moine de Zurbarran francisé, et son ange rap-