une noble confiance dans sa volonté, et un violent mépris de ses adversaires, qu’il avait le bon goût de cacher. Du reste, la force du novateur n’était pas de la force brutale. Il ne manquait ni de science, ni de raisonnement, et il avait infiniment d’esprit, pas assez, cependant, pour éteindre l’imagination. Il avait bien aussi des côtés faibles, comme nous le verrons tout-à-l’heure ; mais les hommes énergiques, les oseurs, plaisent peut-être autant par leurs côtés faibles que par leurs qualités. Dante et Virgile conduits par Phlégias dans les enfers annonçait un peintre énergique ; le tableau du Massacre de Scio démasqua le chef de parti, le révolutionnaire. Quelles que fussent les imperfections de cet ouvrage, ses qualités étaient singulières et puissantes. Cette fois le succès fut complet, et la phalange des Grecs d’autrefois fut enfoncée par ces Grecs modernes. L’école classique se vengea de sa défaite par de mordantes épigrammes, par des critiques souvent fondées, s’attaquant principalement à la forme, défectueuse quelquefois. Ces critiques et ces épigrammes, c’étaient les flèches que le Parthe décoche en fuyant ; elles blessaient cruellement, mais la déroute des partisans de l’antique n’en était pas moins complète.
Un homme d’une intelligence vive et supérieure, un de ces hommes qui comprennent tout, qui saisissent tout, et qui, après un jour d’étude, savent tout ce qu’on peut savoir d’un sujet, était venu aider au succès des novateurs. Cet homme, qui devait jouer plus tard un rôle politique si animé et tourner d’un autre côté les ressources d’un immense esprit, faisait alors de la critique d’art dans un journal[1]. Par une singulière anomalie, tout en se proclamant admirateur de David, que du reste il séparait de son école, et en se déclarant classique, M. Thiers, cet ardent critique, se passionnait pour la nouveauté, prêchait, sans trop le vouloir, la révolution dans les arts, comme plus tard il la prêcha dans la politique, et développait ses idées, pleines d’aperçus ingénieux, de points de vue neufs et étendus, avec cette forme nette et rapide, cette audacieuse éloquence qu’on lui connaît. Le secours inattendu d’un auxiliaire si puissant décida la victoire des novateurs. « Delacroix, disait-il dans un de ses articles sur le salon de 1822, Delacroix a surtout cette imagination de l’art qu’on pourrait en quelque sorte appeler l’imagination du dessin ; il jette ses figures, les groupe, les plie à volonté, avec la hardiesse de Michel-Ange et la fécondité de Rubens. » Cet éloge magnifique du chef de l’école nouvelle, qui comptait dans ses rangs tous les talens indépendans, MM. Schnetz, Delaroche, Horace Vernet, les Scheffer, les Johannot et tant d’autres, oseurs et nouveaux chacun à sa façon, doubla ses forces. Chassés de leurs dernières positions, les classiques capitulèrent, et l’art fut déclaré franc.
Il se faisait alors dans le monde des arts un mouvement extraordinaire. Dans les lettres comme dans la peinture, la vieille école de l’empire était attaquée avec une furie singulière. Les écrivains, poètes ou prosateurs, comme les peintres, appelaient une révolution de tous leurs vœux, déployaient les
- ↑ Salon de 1822, par M. A. Thiers. Constitutionnel de 1822.