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Jupiter en saint Pierre, et les Grâces, sœurs de l’Amour, devinrent les trois vertus théologales.

L’impulsion chrétienne donnée à l’école fut plus générale et plus vive encore que l’impulsion militaire ne l’avait été. Le fond cependant demeura toujours grec ou classique. Il y avait mouvement de l’école sur elle-même, transformation ; il n’y avait pas encore révolution. Mais chaque jour les novateurs devenaient plus nombreux, le dégoût de l’imitation devenait plus profond, on voulait du neuf, et la soif de l’indépendance gagnait les masses. Les puissans de la peinture n’étaient néanmoins nullement disposés à transiger. Aussi un beau jour y eut-il insurrection ; les princes de la veille furent assiégés dans leurs palais, leurs statues furent lestement descendues de leurs piédestaux. Ces enfans qui avaient battu et baffoué leurs pères, furent battus et baffoués à leur tour, et la révolution devint imminente. Malheureusement au milieu de tout ce beau mouvement qui accompagnait une réaction si subite et si violente, il se glissa dans la nouvelle république des arts un peu d’anarchie. Quelques indignes essayèrent de s’emparer des premières places qu’ils déclaraient vacantes ; des charlatans se donnèrent des airs de chefs de parti et se posèrent en grands hommes, et, comme à une autre époque, les faiseurs de souliers avaient voulu faire des lois, beaucoup de peintres d’enseigne s’essayèrent à peindre des tableaux, et les badigeonneurs s’occupèrent de peinture monumentale.

Cette révolution ne devait cependant pas s’accomplir sans que ceux qui occupaient les hautes dignités de l’art, et qu’elle voulait en dépouiller, ne fissent une belle défense. Établis dans ces fortes positions appelées positions acquises, ils soutinrent chaudement la guerre du présent contre le passé, et repoussèrent toute pensée de perfectibilité et de progrès dans l’art, à l’aide de ces sophismes de préjugé et d’autorité qu’emploient si volontiers les vieilles écoles qui dominent, comme les vieux partis qui sont au pouvoir. Balzac, qu’on regarda dans son temps comme un beau génie et qui n’était qu’un bel-esprit phraseur, n’a-t-il pas écrit il y aura tantôt deux siècles : « Nous ne sommes pas venus au monde pour faire des lois, mais pour obéir à celles que nous avons trouvées. À quoi bon chercher du nouveau ? Les enfans feraient mieux de se contenter de la sagesse de leurs pères comme de leur terre, de leur soleil. » Les vieilles écoles dont la manière a prévalu, disent comme Balzac : Qu’avons-nous besoin de nouveau ? N’avons-nous pas atteint le but ? Est-il possible de le dépasser ? — Oui, sans doute. — Par-delà la grande muraille, sur les bords du fleuve jaune, l’immobilité peut être regardée comme la perfection ; mais cette idée chinoise n’a pas cours chez les habitans des bords de la Seine. L’esprit humain doit toujours marcher en avant, et dût-il reculer de deux pas pour avancer d’un, à la longue il avance. Ce n’est pas l’inexpérience qui est la mère de la sagesse, c’est l’expérience. Si entre deux individus contemporains, le plus âgé a le plus d’expérience, il n’en est pas de même entre deux générations, celle qui précède ne peut en avoir autant que celle qui suit. Ce qu’on a appelé la sagesse du bon vieux temps, ne serait-ce pas