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La question du Canada est venue fort à propos pour accroître et envenimer encore les dissidences qui avaient déjà éclaté entre ces deux classes d’hommes politiques, et surtout depuis que lord Durham a déclaré accepter les grands pouvoirs dont le ministère l’a investi avec un empressement qui semblerait annoncer le désir d’éloigner encore une fois un dangereux compétiteur, ses premiers amis, les radicaux, ont entièrement cessé de le ménager. Lord Brougham, qui, de son côté, semble ne s’être mis à la tête de l’opinion révolutionnaire que pour harceler ses anciens collègues, pour entraver leur marche, se trouve maintenant opposé à lord Durham, comme il en arrive de deux armées qui se déplacent dans la chaleur du combat, et font entre elles un échange de positions. Sans doute il est pénible d’avoir à retracer de pareilles inconséquences, et à prêter de pareils motifs aux hommes dont la majorité libérale de la nation attend sa direction et le triomphe de sa cause ; mais c’est une cause qui a toujours gagné du terrain, et grâce au talent de ses défenseurs, et en dépit de leurs fautes.

Le rôle que lord Durham a maintenant à jouer, bien que difficile, n’est cependant pas au-dessus de la portée d’un homme d’état qui réunit à des intentions droites un courage ferme et décidé. Nous avons eu des torts envers le peuple canadien, ou plutôt les intérêts d’une petite population coloniale ont été quelquefois négligés au milieu des grandes affaires du pays et du fracas de nos discussions politiques ; voilà, si je ne me trompe, ce que personne ne conteste. Mais les avocats des Canadiens n’ont pas réussi, malgré leurs ingénieux efforts, à démontrer l’existence d’un seul acte d’oppression calculée, à citer un seul exemple de cette espèce de tyrannie qui provoque et justifie de la part du sujet un appel à l’insurrection et à la force. Depuis longues années que je m’occupe des affaires publiques et ne respire que l’atmosphère politique, je n’ai jamais vu aucun sentiment hostile, aucune affectation de supériorité insultante se manifester dans l’appréciation de nos rapports avec le Canada, rien, en un mot, qui ressemblât à l’orgueil d’une métropole ni à la dédaigneuse aversion d’une nationalité différente. Aussi, quand la législature canadienne, non contente de réclamer le redressement de griefs exagérés ou réels, annonce hautement la résolution d’exiger des institutions semblables à celles de l’Amérique du Nord, c’est-à-dire, en d’autres termes, quand elle ne demande au fond qu’à séparer le Canada du reste de l’empire britannique, alors elle se soumet nécessairement à la loi du plus fort. Que les amis du Canada se