Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/363

Cette page a été validée par deux contributeurs.
359
HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

dont le caractère fougueux ne pouvait supporter une pareille opposition avec la patience convenable. On ne saurait imaginer en effet rien de si opposé que ces deux hommes, si distingués l’un et l’autre. Lord Durham est assurément bien inférieur à son rival, sous le rapport de l’esprit et de l’éloquence ; mais il a sur lui l’avantage d’une parfaite unité dans sa vie politique, de la résolution et de l’énergie. À ces qualités il faut joindre une volonté puissante, qui cède quelquefois sans doute à la nécessité, jamais à des influences étrangères, et qui, au moment même où elle cède avec un sombre courage, sait encore se faire respecter.

Lord Durham est de taille moyenne et d’une constitution assez frêle, sa physionomie porte l’empreinte d’une mauvaise santé habituelle ; mais il a l’air calme et intelligent, le maintien noble et gracieux. Il a les cheveux noirs et un teint brun, ou plutôt olivâtre, qu’on rencontre fort rarement en Angleterre. On ne saurait dire qu’il soit précisément éloquent, mais ses discours produisent toujours beaucoup d’effet par la netteté des vues et l’enchaînement des idées qu’il ne manque jamais d’y développer. Quand ses passions ne sont pas excitées, il y a dans toute sa manière une sérénité qui ne laisse pas deviner l’orage bouillonnant sans cesse au fond de cette mer tranquille. Arrive la passion ; qu’il soit ou se croie provoqué par un ennemi, l’orage éclate à l’instant, et c’est en vain que l’orateur cherche à contenir l’intraitable violence de son caractère. Dans ces momens de passion et de colère, amis et ennemis sont impuissans à l’arrêter. Il va jusqu’au bout de son inflexible résolution. Cependant de pareilles scènes sont rares dans sa vie publique, et il faut dire à sa louange que dans ses plus grands emportemens, il respecte la personne de ses adversaires et s’abstient d’attaquer leur honneur ou de calomnier leurs intentions. Ce genre d’hostilités répugne à la fierté de son caractère et à la dédaigneuse réserve de toute sa conduite.

Il serait même à désirer que les ennemis de lord Durham eussent respecté les convenances autant que lui dans les attaques multipliées qu’ils ont dirigées contre sa personne. Je ne connais pas un homme politique de ce temps, que la presse tory ait plus obstinément poursuivi de ses clameurs, de ses injurieuses anecdotes, de ses insultantes diatribes. À défaut d’imputations plus graves, que l’intégrité reconnue du caractère public et privé de lord Durham aurait hautement démenties, on a cherché le côté faible de son humeur, on a épié les dispositions particulières de son esprit, pour inventer à son sujet mille contes ridicules, dont la fausseté se déguisait sous un air de