Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/358

Cette page a été validée par deux contributeurs.
354
REVUE DES DEUX MONDES.

démarche quelconque, de nature à rapprocher du pouvoir les réformistes plus exigeans qui le stimulaient du dehors par leurs acclamations, sans que l’opinion publique les attribuât aussitôt à la secrète influence de lord Durham. Aussi les hommes au courant des affaires ne durent-ils pas être surpris de le voir associé à lord John Russell, lord Duncannon et sir James Graham, pour rédiger et composer avec eux, en petit comité ministériel, le premier bill de réforme.

Ces quatre fondateurs de notre constitution nouvelle n’étaient pas d’égale valeur et différaient assez de caractère, d’antécédens et de principes. Lord John Russell avait à sacrifier en grande partie ses anciennes convictions, ses idées et ses traditions aristocratiques de 1688, pour adopter une mesure bien plus tranchante et bien plus populaire qu’il ne l’aurait fait, abandonné à ses seuls instincts. Lord Duncannon, gentilhomme irlandais, beau-frère de lord Melbourne, et peu remarqué jusqu’alors, n’était certainement pas destiné à prendre la direction de ce grand travail, ni à lui imprimer un cachet bien décidé. Quant à sir James Graham, esprit sans consistance, et talent assez mince, aujourd’hui rallié avec tant d’éclat aux tories, qui le laissent manœuvrer en éclaireur sur leurs ailes, il a sans doute approuvé, mais ce n’est pas lui qui a suggéré au ministère les innovations radicales du premier bill de réforme. C’est donc à lord Durham que l’opinion publique attribue la paternité réelle de ce projet, qui échoua, comme on le sait, et qui, sous certains rapports, était empreint d’une couleur plus démocratique que le plan consacré ensuite par l’assentiment des deux chambres. Le projet de 1831 rappelle effectivement, à des traits nombreux, le plan de réforme dont M. Lambton avait pris l’initiative dix ans plus tôt. Cependant on a laissé transpirer depuis un secret fort curieux, qui se rattache aux combinaisons politiques de 1831, c’est que lord Durham proposa d’abord de restreindre la franchise électorale, dans les villes, aux propriétaires ou occupans de maisons d’une valeur annuelle de vingt livres sterling (500 francs de loyer), mais avec le privilége du vote au scrutin secret. Tous les autres membres du cabinet repoussèrent cette condition du secret des votes, qui est la terreur de notre aristocratie, parce qu’il équivaut pour elle au complet anéantissement de cette immense influence qu’elle exerce directement sur les élections : mais on transigea ensuite avec le radicalisme exigeant de lord Durham, en lui accordant, au lieu du vote secret, l’abaissement de la franchise électorale à dix livres sterling. On ne peut que conjecturer assez vaguement les résultats pratiques du projet de