Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/340

Cette page a été validée par deux contributeurs.
336
REVUE DES DEUX MONDES.

d’une ample robe brune, dont elle se débarrassa lorsque Pippo fut prêt à se mettre à l’ouvrage. Elle parut alors devant lui dans un costume à peu près pareil à celui dont Paris Bordone a revêtu sa Vénus couronnée. Ses cheveux, noués sur le front, et entremêlés de perles, tombaient sur ses bras et sur ses épaules en longues mèches ondoyantes. Un collier de perles qui descendait jusqu’à la ceinture, fixé au milieu de sa poitrine par un fermoir d’or, suivait et dessinait les parfaits contours de son sein nu. Sa robe de taffetas changeant, bleu et rose, était relevée sur le genou par une agrafe de rubis, laissant à découvert une jambe polie comme le marbre. Elle portait, en outre, de riches bracelets et des mules de velours écarlate lacées d’or.

La Vénus du Bordone n’est pas autre chose, comme on sait, que le portrait d’une dame vénitienne, et ce peintre, élève du Titien, avait une grande réputation en Italie. Mais Béatrice, qui connaissait peut-être le modèle du tableau, savait bien qu’elle était plus belle. Elle voulait exciter l’émulation de Pippo, et elle lui montrait ainsi qu’on pouvait surpasser le Bordone. Par le sang de Diane, s’écria le jeune homme, lorsqu’il l’eut examinée quelque temps, la Vénus couronnée n’est qu’une écaillère de l’arsenal, qui s’est déguisée en déesse ; mais voici la mère de l’Amour et la maîtresse du dieu des batailles !

Il est facile de croire que son premier soin, en voyant un si beau modèle, ne fut pas de se mettre à peindre. Béatrice craignit un instant d’être trop belle et d’avoir pris un mauvais moyen pour faire réussir ses projets de réforme. Cependant le portrait fut commencé ; mais il était ébauché d’une main distraite. Pippo laissa par hasard tomber son pinceau ; Béatrice le ramassa, et, en le rendant à son amant : Le pinceau de ton père, lui dit-elle, tomba ainsi un jour de sa main. Charles-Quint le ramassa et le lui rendit ; je veux faire comme César, quoique je ne sois pas une impératrice.

Pippo avait toujours eu pour son père une affection et une admiration sans bornes, et il n’en parlait jamais qu’avec respect. Ce souvenir fit impression sur lui. Il se leva et ouvrit une armoire : Voilà le pinceau dont vous me parlez, dit-il à Béatrice en le lui montrant ; mon pauvre père l’avait conservé comme une relique, depuis que le maître de la moitié du monde y avait touché.

— Étiez-vous présent à cette scène, demanda Béatrice, et pourriez-vous m’en faire le récit ?

— J’étais bien jeune, répondit Pippo, mais je m’en souviens. C’était à Bologne. Il y avait eu une entrevue entre le pape et l’em-