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LE FILS DU TITIEN.

plus il trouvait vraisemblable cette supposition ; il ferma sa fenêtre, de mauvaise humeur, et se décida à se coucher.

Mais il ne pouvait dormir ; malgré toutes les probabilités, il lui était impossible de renoncer à un doute qui flattait son orgueil ; il continua à rêver involontairement ; tantôt il voulait oublier la bourse, et n’y plus songer ; tantôt il voulait se nier l’existence même de Monna Bianchina, afin de chercher plus à l’aise. Cependant il avait tiré ses rideaux et il s’était enfoncé du côté de la ruelle pour ne pas voir le jour ; tout à coup il sauta à bas de son lit, et appela ses domestiques. Il venait de faire une réflexion bien simple qui ne s’était pas d’abord présentée à lui. Monna Bianchina n’était pas riche ; elle n’avait qu’une servante, et cette servante n’était pas une négresse, mais une grosse fille de Chioja. Comment aurait-elle pu se procurer, pour cette occasion, cette messagère inconnue que Pippo n’avait jamais vue à Venise ? Bénis soient ta noire figure, s’écria-t-il, et le soleil africain qui l’a colorée ! Et sans s’arrêter plus long-temps, il demanda son pourpoint et fit avancer sa gondole.


II.

Il avait résolu d’aller rendre visite à la signora Dorothée, femme de l’avogador Pasqualigo. Cette dame, respectable par son âge, était des plus riches et des plus spirituelles de la république : elle était, en outre, marraine de Pippo, et, comme il n’y avait pas une personne de distinction à Venise qu’elle ne connût, il espérait qu’elle pourrait l’aider à éclaircir le mystère qui l’occupait. Il pensa toutefois qu’il était encore trop matin pour se présenter chez sa protectrice, et il fit un tour de promenade, en attendant, sous les Procuraties.

Le hasard voulut qu’il y rencontrât précisément Monna Bianchina, qui marchandait des étoffes ; il entra dans la boutique, et, sans trop savoir pourquoi, après quelques paroles insignifiantes, il lui dit « Monna Bianchina, vous m’avez envoyé, ce matin, un joli cadeau, et vous m’avez donné un sage conseil ; je vous en remercie bien humblement. »

En s’exprimant avec cet air de certitude, il comptait peut-être s’affranchir sur-le-champ du doute qui l’avait tourmenté ; mais Monna Bianchina était trop rusée pour témoigner de l’étonnement avant d’avoir examiné s’il était de son intérêt d’en montrer. Bien qu’elle