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pour le ministère. Pour entraîner une assemblée, comme l’ont fait souvent M. Thiers et M. Guizot, il ne faut pas seulement le talent, il faut une situation franche et une conviction profonde. L’esprit peut briller sans le concours de ces deux choses, mais l’éloquence se tait, ou du moins se montre stérile.

D’un autre côté, les journaux des deux partis extrêmes, opposés à l’existence même du gouvernement, se plaisent à signaler, dans cet état de choses, ce que le gouvernement de Charles X nommait un refus de concours ! Nous concevons parfaitement leur désir d’aggraver le fait actuel ; mais on y attachera moins d’importance, en songeant d’abord que ce refus de concours vient d’une minorité ; puis, que nous vivons sous un gouvernement qui ne s’écartera pas de la constitution, même quand ses adversaires en sortiraient pour le combattre. Si donc le parti qui refuse tout concours, et paralyse les affaires, devenait une majorité, ce serait à lui de prendre le pouvoir, et alors, naturellement, son refus de concours cesserait. Ainsi, qu’on se rassure, la coalition de la droite, de l’extrême gauche et de quelques membres du centre gauche, ne nous menace pas d’une révolution, mais seulement d’un cabinet fondé sur le principe de l’ambition personnelle satisfaite, et livré d’avance à toutes les divisions qu’amènerait inévitablement une réunion d’amours-propres superbes et de principes contraires.

Nous ne craignons pas encore ce résultat. La violence et la passion réussissent mal dans ce temps de modération et de calme. Seulement, il est affligeant de voir des hommes d’une valeur réelle donner ainsi publiquement le spectacle de quelques faiblesses. On parle de capacité. On dit que les plus hautes capacités du pays (c’est ainsi qu’on s’intitule) ne peuvent rester en dehors des affaires ; que leur place est au pouvoir, et on veut briser les portes pour y rentrer. Il nous semblait jusqu’à ce jour que le gouvernement représentatif était celui des majorités, et non pas absolument des capacités. Il y a, en France, nombre de capacités qui n’ont pas accès aux affaires. C’est que la majorité leur a manqué dans les colléges électoraux, ou bien que ces capacités n’ont pas rempli quelques autres conditions du régime constitutionnel. Ces capacités tiennent exactement, depuis vingt ans, le même langage que les capacités de la coalition. Depuis huit ans, surtout, elles ont paru plusieurs fois sur la place publique, pour revendiquer leurs droits. Là on les a traitées, et justement, en rebelles. Depuis, quand elles se plaignaient dans la presse, ou par quelque voie légale que ce fût, les chefs de l’opposition actuelle les refoulaient dédaigneusement en leur demandant qu’elles s’appuyassent sur une majorité. Contre qui ont été faites les lois de septembre, sinon contre les capacités qui voudraient se rendre justice elles-mêmes et s’adjuger le pouvoir de leurs propres mains ?

Personne n’avait douté que la révolution de juillet n’eût des capacités à son service ; mais on se demandait si, du milieu de ces capacités, il sortirait quelque homme d’état. Le 13 mars, le 11 octobre, semblaient avoir répondu à cette question. Les hommes qui ont été bien inspirés par le péril du pays à cette époque, auraient-ils perdu, avec le danger de la situation, le mobile qui les soutenait en ce temps-là ? Serait-il vrai, comme le disent les ennemis de