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REVUE. — CHRONIQUE.

Dans cette coalition, d’ailleurs, personne n’a fait, ce nous semble, le sacrifice de ses opinions. M. Guizot n’a pas encore déclaré, que nous sachions, qu’il renonce, en faveur de ses nouveaux amis de l’extrême gauche, à son éternel système d’intimidation. La mauvaise presse, comme il l’appelait autrefois, est toujours pour lui la mauvaise presse ; les mauvaises passions qui suscitaient du trouble dans l’état pour se frayer la route au pouvoir à travers le désordre, ne lui paraissent certainement pas meilleures ; et, s’il se rapproche à présent de la queue de la révolution, c’est sans doute pour la voir de plus près, l’examiner d’un œil plus attentif, et mieux juger de ses défauts. De son côté, M. Thiers et le petit nombre d’amis qui marchent avec lui à cette heure, n’ont composé avec le parti doctrinaire sur aucune question. Le principe de l’intervention en Espagne n’a pas faibli dans ce rapprochement. Il est bien convenu, de ce côté de la chambre, qu’en ouvrant ses rangs au parti opposé, on ne lui permet d’apporter avec lui que ses passions et non pas ses principes, et qu’on reçoit les hommes sans les choses. Ainsi faite, la coalition n’a rien qui choque les idées constitutionnelles. C’est un élément de destruction, rien de plus, une de ces hardies prises d’armes du temps passé, où l’on n’apportait que des armes offensives. Ceux qui courent cette aventure n’en font eux-mêmes pas plus de cas qu’elle ne vaut. Si l’on échoue, on se séparera, et l’on ira attendre, chacun de son côté, quelque meilleure chance. Si l’on réussit, on se séparera encore, pour se battre entre vainqueurs. Jusque-là rien n’empêche qu’on marche ensemble, car tous les auxiliaires sont propres à une œuvre de destruction. Les répugnances, les haines, les dédains mutuels, sont aussi vifs que jamais, et malheureusement la fraternité n’est qu’apparente. Nous disons malheureusement, car ce serait un beau spectacle que l’union de M. Guizot, de M. Arago, de M. Duvergier de Hauranne, de M. Barrot, non dans leurs intérêts si divers, mais dans l’intérêt de la France.

Le caractère de l’association se révèle dans tous ses actes. On ne voit pas ses membres essayer d’améliorer les lois qu’ils examinent. Leur sentence est toujours le rejet. Ils ne se sont donné que la mission d’arrêter, dans la chambre, la marche des affaires, et dans la presse de tout nier. C’est un pacte tout négatif, où la première condition pour les hommes éloquens qui y figurent est de se clore la bouche, et de ne pas monter à la tribune, et pour les hommes spéciaux de ne pas faire usage de leurs connaissances.

M. Piscatory a dit, dans la discussion des armes spéciales, quand il réclamait pour son ami, M. Jaubert, le privilége de s’écarter de la question, qu’à voir les précautions dont on entourait les orateurs, on pouvait se croire dans la chambre d’un malade, où personne n’osait parler haut. À ce sujet, nous nous écrierons, comme fit M. Guizot : C’est cela ! Nous dirons même : C’est mieux que cela, et la chambre, telle que l’a faite la coalition, ressemble, selon nous, à voir quelques-uns de ses bancs, à une salle d’hôpital, où gisent, avec la fièvre, des orgueils meurtris et des ambitions malades. C’est là qu’on ne saurait parler haut sans danger, et sans irriter tant de plaies si faciles à envenimer ! M. Molé, s’adressant à M. de Broglie, le sommait de préciser ses accusations ; un pareil défi, porté au chef de la coalition, serait sans danger