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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
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14 avril 1838.


Nous entendons beaucoup de gens, à la vue de ce qui se passe, désespérer du gouvernement représentatif. Nous sommes loin de juger le mal aussi grand. On dit qu’il y a de quoi douter de l’excellence d’une forme de gouvernement dont quelques hommes de talent peuvent arrêter tout le mécanisme à leur gré. Ces hommes de talent, dont l’ambition est impatiente et inquiète, ont existé dans tous les temps et sous tous les régimes, et il vaut mieux que ces ambitions s’exhalent dans les journaux, au pied de la tribune, et dans les bureaux de la chambre, qu’en secret, comme dans les monarchies absolues, ou sur la place publique, comme nous le voyons dans les républiques dont on a doté le Nouveau-Monde. Quel excellent régime, en effet, que celui où les grandes et ardentes opinions politiques peuvent se répandre si facilement, et s’écouler en résultats tels que le refus de quelques lois politiques ou d’intérêt matériel, dont quelques-unes seront adoptées sans doute l’année suivante ! Est-ce là un mal à comparer à l’émeute, aux associations, à la justice secrète ou exceptionnelle qui s’ensuit infailliblement ? Assurément si le gouvernement constitutionnel doit se consolider en France, c’est par l’exemple que nous avons sous les yeux aujourd’hui. L’enseignement que donnera cette session aura mûri la chambre en peu de mois, et elle doit rendre cette justice à des gens qui se disent ses maîtres, qu’ils lui épargnent un apprentissage qui, sans eux, eût été sans doute beaucoup plus long.

On s’étonne que M. Guizot, M. Thiers, M. Duchâtel, M. Passy, s’impatientent de ne pas être au pouvoir et s’efforcent de renverser le ministère. Nous ne saurions partager cette surprise. Qu’ils se réunissent, qu’ils viennent les uns aux autres de bien loin, et, en quelque sorte, des deux extrémités du monde politique, rien ne nous paraît plus simple et plus naturel. Qui veut la fin veut les moyens. Or, pour abattre une administration qui n’a d’autre tort que celui d’être en place, et qui peut étaler quelques titres glorieux, quoi qu’on fasse pour les contester, il faut bien quelques efforts. La coalition n’a même à se justifier en ce moment que d’un seul tort, pour lequel nous ne pourrions lui en vouloir : c’est de n’être pas assez nombreuse, et de se trouver encore à l’état de minorité.