les vassaux, leurs maîtres. L’autorité souveraine étant sans force, toute autre autorité légitime ou tout autre droit acquis fut attaqué ou fut à la veille de l’être. La tenure s’insurgea contre le bénéfice ou contre l’alleu, et devint aussi héréditaire. Tel colon qui ne possédait qu’à titre de fermier, ou qu’en vertu d’un titre plus précaire encore, devint propriétaire, et transmit son bien à sa postérité. De plus, tel intendant ayant un office rural ou domestique, et remplissant des fonctions d’un ordre servile et privé, s’érigea en une espèce d’officier public, de sorte que les majores et les jurati du IXe siècle devinrent, au XIe, des maires et des espèces de magistrats municipaux. En peu de temps, la possession fit place à la propriété, et la propriété conduisit à une sorte de magistrature. Elle ne fut pas libre et franche, elle fut même bien des siècles encore à le devenir ; mais enfin le droit fut reconnu, soit entre les mains d’un seigneur, soit entre celles d’un vilain, qui fut moins alors un esclave qu’un vassal du plus bas degré.
Ce n’est pas que l’alleu ait repris faveur : au contraire, après s’être dénaturé de plus en plus, il finit par disparaître presque entièrement ; déjà difficile à conserver à la fin de la première race, il ne fut pas tenable au milieu des violences de la seconde. Pour n’avoir point de seigneur, le maître de la terre avait une multitude d’ennemis ; et s’il ne servait personne, personne non plus ne le protégeait. Seul contre tous, il se vit forcé, pour échapper à la spoliation, de se recommander à quelqu’un de puissant, et de convertir son bien libre en fief perpétuel. Alors la terre servit la terre, de même que la personne servit la personne ; tout tomba dans le servage ; et noble ou non noble, on naquit l’homme de quelqu’un. On était placé, non pas à côté, mais au-dessus ou au-dessous de son voisin ; et le lien social, en se ramifiant à l’infini, attachait les hommes les uns à la suite des autres, au lieu de les unir chacun immédiatement à un centre commun.
Les institutions de Charlemagne, après avoir lutté deux siècles, furent emportées par l’anarchie, et la Gaule romaine se retira devant la France féodale.
À cette époque on entre dans un ordre de choses tout nouveau. La propriété, en se fixant dans les mains des seigneurs, des vassaux et des plus petits possesseurs, rendit territorial ce qui n’était que personnel auparavant, et détruisit, pour ainsi dire, la personnalité. Les anciennes lois des peuples, qui toutes étaient personnelles et héréditaires, tombèrent en désuétude ; les races qu’elles représentaient se mélangèrent, se confondirent, et vinrent à se dissoudre avant que la