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LE PEUPLE AVANT LES COMMUNES.

palais qui fut roi. La domination mérovingienne a pour caractère particulier d’être surtout personnelle ; et jusqu’à l’avènement d’une autre dynastie, c’est à peine si l’on aperçoit dans l’empire des Francs aucun système régulier d’administration territoriale. Après que Pépin-le-Bref eut recueilli en héritage, avec la mairie du palais, la gloire et l’autorité que deux grands hommes, Charles Martel, son père, et son aïeul Pépin d’Héristal, petit-fils de Pépin de Landen, avaient attachées à leur maison par leur génie, par leur prudence, par leur valeur, le maire, élevé au-dessus du souverain, n’eut pas de difficulté non-seulement à renverser du trône un simulacre de roi, mais encore à s’établir solidement à sa place. Alors il n’y eut pour le moment de changé que les personnes, et la constitution politique resta quelque temps la même, à cela près de l’hérédité des bénéfices qui semble avoir un peu prévalu depuis cette époque[1]. Mais le changement dans les personnes présagea et bientôt amena un changement dans les choses. À des souverains appauvris et sans gloire, dégénérés ou malheureux, tenus en tutelle ou en interdit, à des enfans qui n’excitaient que le mépris ou la pitié, succédèrent des hommes énergiques et ambitieux, des princes redoutables et populaires, regorgeant de biens et de vassaux ; des capitaines illustres et victorieux, capables de concevoir de grands desseins et de les exécuter. Les Mérovingiens avaient enlevé la Gaule aux Romains ; il fallait maintenant l’enlever aux chefs de bande. Par la première conquête, le pays presque entier avait été réduit au pouvoir d’un seul peuple, par la seconde, le pouvoir fut réduit dans les mains d’un seul homme ; d’abord fut fondé le royaume, ensuite l’autorité du roi. À l’avènement de Pépin, les beaux jours de Charlemagne étaient préparés.

De tout ce mélange et ce pêle-mêle, dont j’ai parlé, de races, de chefs de bandes ou de chefs de cantons, et d’hommes attachés à des institutions, à des usages, à des seigneurs différens, Charlemagne fit autant de sujets, et d’une foule de petits peuples il s’efforça de composer une grande nation. Il sut s’emparer des ambitions et des passions personnelles ; il sut réunir, diriger et maîtriser les forces particulières et opposées, bâtir des villes et accomplir des merveilles avec des instrumens de destruction. On le vit assigner et assurer à chacun sa place, imposer et maintenir l’obéissance, et créer à tous une communauté d’intérêts. L’ennemi qu’il attaqua hors des frontières devint l’ennemi commun ; les assemblées qu’il tint chaque année, il les rendit

  1. La charge de maire du palais fut héréditaire, au moins de fait, dans la famille même des Pépin.