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LE PEUPLE AVANT LES COMMUNES.

assez dégradés, et que, tout en se préservant des opinions et des doctrines historiques les plus populaires de nos jours, tout en les combattant le premier et presque le seul, il a peut-être fait ici des concessions à la nouvelle école et n’a pas assez résisté sur quelques points à l’entraînement général. Toujours est-il qu’il a réduit toutes nos dettes envers les Germains à une seule. Mais cette dette unique il l’a reconnue, il l’a proclamée de la manière la plus expresse. « L’idée fondamentale de la liberté, dans l’Europe moderne, lui vient, dit-il, de ses conquérans : l’esprit de liberté individuelle, le besoin, la passion de l’indépendance, de l’individualité, voilà ce que les Germains ont surtout apporté dans le monde romain. » Serait-il donc vrai que ces peuples nous eussent fait un pareil présent ? Cette part qu’on leur réserve tout entière, n’est-elle pas encore trop forte, quoique très restreinte ; et ne doit-elle pas encore leur échapper ? Non, on ne saurait la leur attribuer légitimement. Non, l’amour de l’indépendance individuelle ne vivait pas dans le cœur des Germains, ou du moins ne faisait ni le fond, ni le propre de leur caractère national. Et ici je ne parle pas du respect que chacun aurait porté à l’indépendance d’autrui pour assurer la sienne propre, ce qui assurément aurait été une qualité bien précieuse et bien étonnante chez des barbares ; je veux parler de l’indépendance personnelle considérée en soi, et prise, si je puis m’exprimer ainsi, dans le sens le plus égoïste de la chose : certes on ne voit pas qu’un sentiment de cette nature ait dominé les habitans de la Germanie plus que tout autre peuple, quoique chez eux il se fût très bien accommodé avec leurs autres mauvaises qualités, et qu’il eût parfaitement servi leur penchant au mal. Que l’on considère en effet le barbare d’outre-Rhin : paraît-il se complaire dans la liberté absolue de ses actions, avoir confiance en sa force individuelle, et s’en reposer pour son salut, pour la possession et pour la jouissance de ses biens, sur lui-même et sur lui seul ? En aucune façon, et bien au contraire, il s’empresse de mettre sa vie sous la protection d’une force supérieure, et sa liberté avec sa fierté au service d’un patron ou d’un chef puissant. Là, dans ses bois, le Germain se voue au Germain, et l’individu est dans la dépendance de l’individu ; là est la terre des obligations et des services personnels ; c’est là qu’est né le vasselage ; c’est là qu’on reconnaît un seigneur, qu’on a recours à lui plutôt qu’à la loi, et qu’on promet fidélité à l’homme plutôt qu’au pays ou au souverain[1].

  1. La constitution elle-même accorde à l’antrustion une composition beaucoup plus forte.