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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

guerre sur la rive droite du Danube. La fortune favorisa ses combinaisons, Il profita habilement d’une fausse manœuvre du grand-visir, qui, opérant sur les deux rives du fleuve, avait divisé son armée en deux corps. Il fondit à l’improviste (fin d’octobre 1811) avec toutes ses forces sur l’un de ces corps et le détruisit complètement. L’armée turque, réduite à quelques milliers d’hommes démoralisés, se trouva hors d’état de tenir tête aux Russes ; la campagne était achevée, et cette fois encore à la honte des Turcs et à la gloire de leurs ennemis. À peine Kutusoff eut-il vaincu (8 novembre), qu’il se hâta d’offrir la paix au grand-vizir, et il l’offrit à des conditions bien moins onéreuses que toutes les précédentes. Au lieu de demander la limite du Danube, il se contenta d’exiger la cession de la Moldavie jusqu’à la rivière de Siresth, l’indépendance de la Servie, la cession du territoire turc de l’est de la mer Noire jusqu’au cours du Phase, et 20,000,000 de piastres. Ces conditions furent envoyées aussitôt au sultan, qui, sans les accepter, consentit à ce qu’elles devinssent la matière d’une négociation (janvier et février 1812). Un armistice fut conclu entre Kutusoff et le grand-visir, et la négociation s’ouvrit à Bucharest.

C’est dans le moment même où la guerre était suspendue sur le Danube, que nos armées se disposaient à franchir l’Oder, et que l’empereur proposait son alliance à la Porte.

Au fond, bien que les choses prissent à Constantinople une tournure fâcheuse, tout cependant n’était point désespéré pour nous. Le sultan Mahmoud voulait personnellement notre alliance, et il la voulait avec ardeur, avec passion. Signer la paix au moment où l’empereur Napoléon lui donnait la main pour abaisser l’implacable ennemi de son pays, lui semblait une honte et une absurdité ; mais tout était conjuré pour faire ployer son énergie et lui arracher la paix. La détresse de l’armée et celle des finances étaient réellement affreuses ; les caisses de l’état étaient vides ; toutes les ressources avaient été épuisées, jusqu’à l’argenterie du sérail ; les ressorts de l’administration militaire étaient brisés ; canons, magasins, tentes, cavalerie, équipemens, tout était à recréer. L’armée organisée ne s’élevait pas à plus de 15,000 hommes. Les populations, surtout celles de la Turquie d’Europe, ruinées et décimées par une guerre de six années, imploraient la paix comme le terme de leurs misères. Il ne restait quelque étincelle d’énergie que dans les rangs des janissaires et parmi les pachas, mais c’était une énergie malfaisante ; car chez les uns, elle tournait en révolte ouverte, et chez les autres, en efforts secrets et coupables pour se rendre indépendans. Le grand-visir et la plupart des chefs du camp étaient à la tête du parti de la paix.

À ces causes de découragement se joignait la crainte de compliquer, par de nouveaux périls, une situation déjà si malheureuse. L’Angleterre déclara à la Porte que, si elle osait s’unir à la France, elle lui ferait une guerre terrible, que rien ne pourrait arrêter le cours de ses vengeances ; que, dût-elle y employer la moitié de ses flottes, elle forcerait les Dardanelles, livrerait le sérail aux flammes, et affamerait la capitale. Puis elle remit sous les yeux