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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

recevrait en indemnité la Poméranie suédoise et telle autre possession non désignée appartenant actuellement à la Suède. La France avancerait à la cour de Stockholm vingt millions de francs qui lui seraient remboursés après la paix. La restitution de la Finlande serait une des conditions imposées par la France à la Russie. Si l’empereur agréait ces propositions, le prince royal se mettait tout entier à ses ordres ; il avait en ce moment 50,000 hommes disponibles qu’il conduirait contre la Russie ; il ne voyait aucune difficulté à l’occupation des îles d’Aland avec des bateaux plats, ni même, ajoutait-il cette fois, à celle de la Finlande.

M. Signeul, porteur de ces conditions, arriva trop tard à Dresde : Napoléon venait de quitter cette ville pour se rendre à la tête de ses armées. Le duc de Bassano se hâta de lui transmettre les offres du prince royal, et elles lui parvinrent à Posen ; elles ne firent que l’irriter. Quoi ! dit-il, quand la Prusse et l’Autriche recherchent mon alliance, Bernadotte ose la marchander ! il me traite à la turque ; il me rançonne. L’argent ne sera jamais un moyen dans ma politique ; je ne veux pas de ces amis qu’on ne garde qu’en les payant. D’ailleurs l’Angleterre ne serait-elle pas toujours là pour enchérir sur moi ? La demande de la Norwège est une autre impertinence… Certes, je n’irai pas dépouiller le Danemark parce que Bernadotte s’est mis cette idée en tête. Qu’est-ce au surplus que la Norwège et quelques misérables millions, dans ce moment où la Suède peut avoir Saint-Pétersbourg à sa discrétion ! — Répondez à M. Signeul, écrivit-il au duc de Bassano, que je n’achèterai point un allié douteux aux dépens d’un allié fidèle. »

Ce refus coupa court à toutes relations politiques avec la Suède ; notre chargé d’affaires, M. de Cabre, reçut l’ordre de quitter Stockholm, et Bernadotte se livra tout entier à l’alliance anglo-russe.

VII.

Si les intérêts généraux de la Suède l’entraînaient du côté de nos ennemis, il en était tout autrement de la Turquie. Nos relations d’amitié naturelle avec cette puissance étaient nettes et précises. L’ennemi contre lequel elle luttait avec tant de peine depuis six ans, dont l’ambition visait hautement à la chasser de l’Europe, qui l’avait successivement dépouillée de la Tartarie, de la Crimée, de la Bessarabie, qui dans ce moment même voulait lui ravir la Moldavie et la Valachie, cet implacable ennemi était le même auquel nous allions déclarer la guerre à la tête de toutes les forces de l’Occident. Dans cette réaction violente du Midi contre le Nord, la Turquie avait donc un beau rôle à remplir. Tout lui imposait la loi d’unir ses armes aux nôtres et de coopérer de toutes ses forces au triomphe d’une cause qui était la sienne propre, plus que celle d’aucune autre puissance. Envisagée sous le point de vue militaire, l’alliance de la Turquie était pour nous d’une importance majeure. Cependant, jusqu’au mois de janvier 1812, l’empereur affecta de se tenir vis-à-vis de cette puissance dans une attitude fort réservée, évitant toutes démonstrations trop