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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

ajouta qu’il trouvait sa satisfaction dans l’amour des Suédois, qui, dans son dernier voyage, avaient dételé ses chevaux. « J’ai vu, dit-il avec l’intention marquée de blesser l’empereur et dans ce style emphatique naturel aux méridionaux, j’ai vu des troupes invincibles dont les hourras s’élevaient jusqu’aux nues, qui exécutaient leurs manœuvres avec une précision et une célérité bien supérieures à celles des régimens français, des troupes avec lesquelles je ne serai pas obligé de tirer un coup de fusil, auxquelles je n’aurai qu’à dire : En avant, marche ; des masses, des colosses qui culbuteront tout devant eux. — Ah ! c’en est trop, dit le représentant de la France ; si jamais ces troupes-là sont devant les troupes françaises, il faudra bien qu’elles leur fassent l’honneur de tirer des coups de fusil. — Je sais fort bien ce que je dis, reprit le prince ; je ferai des Suédois ce que j’ai fait des Saxons, qui, commandés par moi, sont devenus les meilleurs soldats de la dernière guerre. » Alquier ayant alors insinué que les derniers armemens de la Suède étaient inutiles, le prince s’écria avec véhémence : « Je suis plus décidé que jamais à lever de nouvelles troupes ; le Danemark a cent mille hommes, et je ne sais s’il n’a pas quelque dessein contre moi. D’ailleurs, je dois me prémunir contre l’exécution du projet entamé par l’empereur aux conférences d’Erfurth, pour le partage de la Suède entre la Russie et le Danemark. Vous pouvez dire à l’empereur que j’en suis informé, mais que je saurai me défendre, et il me connaît assez pour savoir que j’en ai les moyens. Personne ici ne me fera la loi. Les Anglais ont voulu se montrer exigeans envers moi ; eh bien ! je les ai menacés de mettre cent corsaires en mer, et ils ont baissé le ton. Au surplus, ajouta-t-il, quels que soient mes sujets de plaintes contre la France, je n’en suis pas moins disposé à faire tout pour elle dans l’occasion, quoique les peuples que je viens de voir ne m’aient demandé que de conserver la paix à quelque prix que ce fût, de rejeter tout motif de guerre, fût-ce même pour recouvrer la Finlande, dont ils m’ont déclaré qu’ils ne voulaient pas. Mais, monsieur, qu’on ne m’avilisse pas : je ne veux pas être avili ; j’aimerais mieux aller chercher la mort à la tête de mes grenadiers, me plonger un poignard dans le sein, ou plutôt me mettre à cheval sur un baril de poudre et me faire sauter en l’air. » En prononçant ces dernières paroles, le prince était en proie à l’émotion la plus violente ; ses yeux étaient en feu et ses lèvres tremblantes. Alquier, embarrassé et confus, voulait se retirer lorsque le prince l’arrêta par le bras avec un mouvement convulsif et lui dit : « J’exige de vous une promesse, c’est que vous rendiez compte exactement de cette conversation à l’empereur. »

D’un état de choses aussi violent à une rupture complète, il n’y avait plus qu’un pas, et ce pas, c’est la Suède qui le fit ; elle déclara qu’elle n’admettrait plus d’autre législation maritime que celle qui consacrait l’indépendance du pavillon neutre couvrant la marchandise. Dans l’état actuel de l’Europe, ce principe était d’une application impossible, et au lieu d’être une garantie contre la législation tyrannique des Anglais, il lui prêtait force et appui ; il devenait un acte d’hostilité manifeste contre la France. Napoléon y répondit (fin février 1812) en envahissant la Poméranie, et en donnant à son ministre