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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

heures, avec un vent qui ne varie presque jamais ; j’irai là, s’il le veut. L’empereur est assez puissant pour qu’il dédommage le Danemarck ; ne peut-il pas lui donner à l’instant même le Mecklenbourg et la Poméranie ? Si je ne suis plus gêné par le conseil d’état, si la constitution qui anéantit l’autorité du roi et dont on m’écrit que l’empereur rit si justement aux Tuileries, est modifiée, si je deviens le maître enfin, je jure sur mon honneur de fermer ce royaume au commerce anglais… Dites à l’empereur que je n’oublierai jamais qu’il a été mon souverain et mon bienfaiteur, que je me regarde ici comme une émanation de sa puissance, et que mon vœu le plus ardent est de mettre à sa disposition tous les moyens de la Suède, qui sont plus importans qu’on ne le pense, et qui peuvent être d’une grande utilité pour la France. Je ne mets aux offres que je fais à l’empereur que deux restrictions : la première, que les troupes suédoises ne seront jamais portées au-delà du Rhin ; la seconde que je les commanderai toujours en personne. »

La réponse de l’empereur aux offres de Bernadotte ne pouvait être douteuse : sacrifier le plus fidèle de ses alliés à la Suède, qui avait concouru de tous ses efforts à la ruine du système continental, c’eût été tout à la fois une faute politique et une lâcheté. Son ministre à Stockholm eut l’ordre de répondre aux propositions du prince (dépêche du 26 février 1811) que « si une guerre venait à éclater entre la France et la Russie, la France était assez puissante pour se suffire à elle-même ; que d’ailleurs il n’entrait pas dans les habitudes de l’empereur de sacrifier ses fidèles alliés et de les dépouiller pour satisfaire l’ambition de leurs voisins ; qu’aussi long-temps que le Danemarck serait son allié, il ne souffrirait pas qu’il fût porté la moindre atteinte à sa puissance. » C’était là un digne et noble langage.

Cependant l’empereur, qui voulait ménager Bernadotte sans prendre avec lui des engagemens immédiats, donna l’ordre au baron Alquier de le sonder et de s’assurer des conditions définitives dont il ferait dépendre son alliance avec la France. Cette démarche, faite en avril 1811, était au fond une insinuation tendant à déterminer la Suède à modifier ses dernières demandes. Mais Bernadotte et le cabinet de Stockholm se montrèrent immuables : ils continuèrent d’exiger la Norwège. Il fut alors évident pour Napoléon que la Suède avait pris son parti, et que ce n’était point à la conquête de la Finlande, mais à celle de la Norwège, qu’elle avait résolu de consacrer ses forces. Or, l’alliance de cette puissance contre la Russie ne pouvait lui être précieuse qu’autant qu’elle prendrait l’engagement de conquérir elle-même la Finlande et de menacer Wibourg. Tout autre emploi de ses armées lui devenait onéreux ou inutile. La proposition du prince d’aller descendre à la tête de 50,000 Suédois sur les côtes d’Angleterre était un luxe d’audace que, par respect pour le génie de son ancien maître et pour lui-même, il aurait dû s’épargner. Napoléon sentait bien qu’un abîme le séparait de son ancien lieutenant ; il se résigna donc, et il abandonna la Suède et son prince royal à leurs destinées, sauf à tenter un dernier effort, au moment décisif, pour le rattacher à lui. Jusque-là il se renferma dans un silence absolu qui portait tous les