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se trouva dans l’impossibilité de gouverner par lui-même ; il remit les rênes du gouvernement au prince royal, qui ne les quitta plus. Son règne véritable date de ce moment. Le premier usage qu’il fit de son pouvoir fut de tenter une combinaison qui pût concilier la délicatesse de sa position vis-à-vis de l’empereur avec les exigences du commerce suédois et la politique timide du sénat. Le 7 février 1811, il fit venir le ministre de France, et l’entretint longtemps dans ce langage verbeux et à effet qui le caractérise : « Je vais vous dire franchement, monsieur, ce qui bouleverse ici toutes les têtes. On se rappelle que, pour les intérêts de sa politique, l’empereur a sacrifié la Suède, en autorisant la conquête de la Finlande et des îles d’Aland. Lorsque les états me choisirent, ils ne furent déterminés que par l’espérance de plaire à l’empereur et d’obtenir, comme le premier effet du retour de ses bontés et de sa protection, le recouvrement de cette province, de sorte qu’à mon arrivée, cette idée folle occupait toutes les têtes. On se croyait tellement sûr de la France, que le bruit courait déjà que j’allais conduire l’armée suédoise en Finlande. Cette exaltation durait encore, lorsqu’au nom de l’empereur, vous forcâtes le roi à déclarer la guerre aux Anglais, et à faire des réglemens prohibitifs, mesures qui contrarièrent l’intérêt réciproque des commençans, des nobles et des grands propriétaires. Dès-lors on jugea que mon avènement n’était point un gage de l’appui de l’empereur, et que la Suède était entraînée passivement dans la politique de ce monarque. L’opinion, qui était toute française, varia subitement ; elle s’est fortement détériorée, et je ne saurais même calculer quels peuvent être ses effets ; mais il est hors de mon pouvoir de la rectifier, si l’empereur ne vient pas à mon secours, s’il ne prend pas sur ce pays un grand ascendant par ses bienfaits, s’il ne lui donne pas une possession qui la console de la perte de la Finlande, et une frontière qui nous manque. — Voyez, dit-il au baron Alquier en lui montrant une carte générale développée à dessein ; voyez ce qui nous convient. — Je vois, répondit le ministre, la Suède arrondie de toutes parts, excepté du côté de la Norwège. Est-ce donc de la Norwège que votre altesse veut parler ? — Eh bien ! oui, répliqua le prince, c’est de la Norwège, qui veut se donner à nous[1], qui nous tend les bras, et que nous calmons en ce moment. Nous pourrions, je vous en préviens, l’obtenir d’une autre puissance que de la France. — Peut-être de l’Angleterre ? répliqua Alquier. — Eh bien ! oui, de l’Angleterre ; mais quant à moi, je proteste que je ne veux la tenir que de l’empereur ; que sa majesté nous la donne, que la nation puisse croire que j’ai obtenu pour elle cette marque de protection : alors je deviens fort, je commanderai sous le nom du roi, et je suis aux ordres de l’empereur. Je lui promets cinquante mille hommes parfaitement équipés à la fin du mois de mai, et dix mille de plus au commencement de juillet. Je les porterai partout où il voudra ; j’exécuterai tous les mouvemens qu’il ordonnera. Voyez cette pointe de la Norwège, elle n’est séparée de l’Angleterre que par une navigation de vingt-quatre

  1. Bernadotte nous trompait. Il savait mieux que personne que le fond de la population norwégienne était opposé à une réunion à la Suède.