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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

Puis, une expédition en Finlande par mer, sous le feu des flottes anglaises et russes, était impossible ; elle n’était praticable que l’hiver, par terre, en tournant le golfe de Bothnie à Tornéo. Dans cette saison, les lacs et les rivières qui couvrent le pays se glacent et peuvent porter une armée ; mais cette entreprise, exécutée pour ainsi dire sous le pôle, exigeait d’énormes dépenses, des soldats intrépides et des corps de fer. D’ailleurs, pour que l’armée suédoise remplît sa destination dans une alliance avec la France, il fallait qu’elle pût agir contre la Russie pendant l’été, et non pas dans la saison des glaces. La conquête de la Norwège, au contraire, était une conquête de plain-pied : la Suède n’avait qu’à s’avancer pour s’en emparer. Enfin une circonstance décisive trancha la question. L’Angleterre et la Russie proposèrent à la cour de Stockholm de la lui garantir, si, la guerre éclatant dans le Nord, elle voulait faire cause commune avec elles contre la France. La Russie fit plus : elle lui offrit de s’engager, dans le cas où elle serait vaincue, à faire porter tout le poids de ses sacrifices, dans les négociations de la paix, sur la Finlande, et à la restituer à la Suède. Ainsi, tandis que l’alliance de la France n’offrait à ce royaume qu’une conquête difficile et des dangers de tous genres, l’alliance de l’Angleterre et de la Russie lui assurait des avantages pour toutes les chances : victorieuses, ces deux puissances lui livraient la Norwège ; en cas de défaite de la Russie, elle rentrait en possession de la Finlande. Entre ces deux systèmes, la balance n’était point égale ; aussi la cour, le sénat, la noblesse, le commerce, avaient-ils un penchant prononcé pour s’unir à l’Angleterre et à la Russie, tandis que les classes moyennes et le peuple, fidèles encore aux vieilles sympathies nationales pour la France, fiers d’avoir à leur tête un des illustres frères d’armes du grand empereur, hostiles à l’influence russe, dominés surtout par le désir de recouvrer la Finlande, ambitionnaient l’alliance de Napoléon.

Quant au prince royal, dont la position était compliquée d’intérêts et de devoirs opposés, son rôle était fort difficile. Il avait récemment trop bien donné la mesure de son peu d’attachement à son ancien maître pour qu’on pût le croire maîtrisé dans sa conduite par des scrupules de reconnaissance ; mais il craignait de prendre le rôle d’ennemi personnel de l’empereur Napoléon. Ce grand homme qu’il haïssait déjà mortellement, était encore à ses yeux, comme aux yeux de tous, le monarque le plus puissant, et peut-être bientôt le dictateur de l’Europe. S’il sortait vainqueur de cette dernière lutte, quel sort réserverait-il à son ancien lieutenant déserteur de sa cause ? Si un reflet de sa gloire avait suffi pour faire monter Bernadotte sur les degrés d’un trône, certes son bras aurait bien la force de l’en faire descendre. Le prince royal était donc dominé par deux craintes opposées, l’une de compromettre son avenir de roi en se déclarant contre l’empereur, l’autre de faire violence aux opinions des principaux corps de l’état et de la noblesse, et de perdre leur appui en s’unissant à la France.

Un évènement prévu depuis long-temps venait de faire tomber dans ses mains la haute direction des affaires. Le roi Charles XIII, frappé d’apoplexie,