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des miens ; je désire m’entendre toujours amicalement avec votre altesse royale. »

Telles étaient les relations, déjà pleines d’aigreur et de fiel, de l’empereur Napoléon avec le prince royal de Suède, lorsque éclatèrent les symptômes de la guerre de Russie.

La Suède se trouvait placée par sa position géographique en dehors du cercle immense que cette guerre allait tracer dans son cours. Elle était du très petit nombre d’états européens qui pouvaient, dans cette grande lutte, se tenir à l’écart et conserver leur neutralité ; mais il est évident que tous ses intérêts lui interdisaient le rôle obscur et sans profit de puissance neutre. La France et la Russie s’étaient réunies après la paix de Tilsitt pour accabler sa faiblesse, et l’Angleterre l’avait laissé opprimer avec un égoïsme plein d’ingratitude. Le moment était venu pour elle de prendre sa revanche et de chercher à réparer ses derniers malheurs, en vendant son alliance au plus offrant. La Suède ne pouvait s’agrandir avec avantage que sur deux points, en Norwège et en Finlande. La perte de la Finlande avait été pour elle une affreuse calamité. Elle l’avait vu s’accomplir avec un véritable désespoir, et dans les emportemens de sa douleur, elle avait détrôné son roi qu’elle accusait des malheurs publics, dont les vrais auteurs étaient la Russie, la France et l’Angleterre. La perte de la Finlande était le dernier et le plus grand de ces longs désastres que la fortune lui avait infligés en développant, à côté de sa frêle puissance, le colosse russe. Cette perte la plaçait sous la main de son redoutable voisin, qui n’avait plus qu’à monter sur ses vaisseaux pour venir la frapper dans sa capitale découverte. Elle avait donc un intérêt immense à recouvrer une province qui formait autrefois le tiers de sa puissance, et qui était pour elle un boulevard indispensable. D’un autre côté, l’acquisition de la Norwège offrait aussi de grands avantages : la nature semblait avoir destiné les deux pays à vivre sous les mêmes lois, car elle les avait attachés l’un à l’autre par le plus irrésistible de tous les liens, le lien géographique. La Norwège se recommandait d’ailleurs par d’admirables développemens de côtes, par des pêcheries excellentes, par des forêts merveilleusement riches en bois de construction et d’une exportation facile, enfin par une population peu nombreuse, mais aisée, et renommée par la douceur de ses mœurs. À tout prendre, si la Suède avait eu la liberté absolue de son choix, elle n’eût point hésité entre ces deux provinces ; elle eût préféré la Finlande, qui, sous tous les rapports, était pour elle d’une bien autre importance que la Norwège. Mais ici la question politique se trouvait compliquée d’une question de géographie militaire. Pour que la Suède rentrât en possession de la Finlande, il fallait qu’elle l’arrachât par les armes des mains de la Russie, et elle ne le pouvait qu’en embrassant ouvertement l’alliance de la France. S’allier à la France, c’était rompre, non plus d’une manière factice, mais réelle, avec l’Angleterre, s’exposer à ses coups, livrer à ses vengeances sa capitale, et à sa cupidité les forteresses maritimes, les vaisseaux et le commerce du royaume.