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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

quences d’un revers possible. Une haine implacable fermentait dans tous les cœurs prussiens contre notre domination : une logique cruelle pouvait donc nous conseiller d’enlever à des populations ennemies l’appui et l’autorité d’un pouvoir central et organisé, et d’anéantir un gouvernement que la terreur seule amenait à nos pieds, que nos succès désespéreraient, et qui, si la fortune nous trahissait, pouvait compromettre le salut de notre retraite. Mais ce parti, à côté de ses avantages, présentait d’immenses inconvéniens : c’était d’abord un acte d’une insigne violence qui, au lieu de comprimer la population de la Prusse, pouvait la pousser à un soulèvement. Puis c’était donner le signal de la rupture avec la Russie, et l’empereur, qui voulait sauver le grand-duché de Varsovie, attachait une importance immense à prévenir les Russes sur la Vistule et à faire de ce fleuve, peut-être même du Niémen, la base et le point de départ de ses opérations. Enfin, l’occupation forcée de la Prusse exigerait 100,000 hommes qui diminueraient d’autant nos forces disponibles contre la Russie. L’alliance au contraire, l’alliance absolue, sans réserve, s’adaptait merveilleusement au plan militaire de l’empereur. Elle faisait arriver sa formidable armée sur le Niémen avec la rapidité d’un torrent, transportait immédiatement la guerre sur le territoire de son ennemi, et lui valait, indépendamment de toutes les ressources d’un pays allié, un renfort de vingt cinq mille hommes d’excellentes troupes. Entre ces deux systèmes, Napoléon hésita long-temps ; il était préoccupé de l’idée que la cour de Berlin le trompait, et qu’elle était liée, par des engagemens secrets, avec la Russie. Nous l’avons vu adopter, au mois de juillet 1811, sous l’influence de ce soupçon, les mesures les plus menaçantes contre la Prusse, l’envelopper de toutes parts dans le réseau de ses armées, prêt à l’envahir et à l’accabler au moindre symptôme d’intelligence de cette puissance avec la cour de Saint-Pétersbourg. Ces craintes, du reste, étaient sans fondement. Il est bien vrai que Frédéric Guillaume, épouvanté par l’approche d’une tourmente qui menaçait de l’envelopper et de briser sa frêle monarchie, s’était adressé à l’empereur Alexandre, non point pour se livrer à lui, mais pour le conjurer de se montrer pacifique et de prévenir la guerre par des concessions faites à propos. On conçoit que de semblables conseils, faits pour attendrir le czar sur le sort de son ancien et malheureux allié, ne pouvaient le déterminer à modifier en quoi que ce fût sa politique. Les dernières mesures de Napoléon avaient achevé de porter la terreur et la désolation à Berlin. Le 26 août 1811, le comte de Hardenberg avait dit au comte de Saint-Marsan, notre ministre dans cette cour : « Le roi ne vous demande qu’une chose, la confiance et l’amitié de l’empereur Napoléon. Si malheureusement la guerre doit éclater, il se met tout entier à sa disposition ; mais je suis chargé de vous le déclarer, monsieur le comte, s’il ne peut obtenir cette confiance, si, en cas de guerre, il voit son pays envahi, il se regardera comme déshonoré aux yeux de l’Europe. Alors, n’eût-il aucun espoir de succès, il aimera mieux s’exposer à périr les armes à la main : c’est pourquoi il a résolu de se mettre en mesure ; il a donné l’ordre de