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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

traités de Campo-Formio et de Lunéville, en donnant Anvers à la France, en plaçant sous sa main les républiques batave, suisse et cisalpine, organisèrent en quelque sorte une guerre interminable entre la France d’une part, et l’Autriche et l’Angleterre de l’autre. Dans la condition où l’Europe se trouvait alors, l’Angleterre et l’Autriche devaient finir par entraîner la Prusse et la Russie, ce qui mettait la France dans l’impérieuse nécessité d’être à elle seule plus forte que les quatre grandes monarchies ensemble, ou de subir leur loi. La raison politique nous conseillait de désarmer la cour de Vienne ou celle de Londres. Le sacrifice à faire à Lunéville était indiqué par la nature des choses ; c’était celui de nos conquêtes italiennes, mieux valait pour nous posséder Anvers que Milan. Le vainqueur de Marengo, en admettant que sa fierté se fût résignée à abaisser volontairement la France au-dessous du point de grandeur où l’avait placée le directoire, aurait-il pu, sans compromettre sa popularité et sa fortune, sans soulever contre lui les clameurs de la France entière, signer à Lunéville l’abandon de cette Italie que son épée avait deux fois conquise ? Il est permis d’en douter, et ce doute, que l’histoire doit admettre, l’absout de presque tous les torts tant reprochés à son ambition. La France adopta comme une œuvre de gloire et de puissance nationale le traité de Lunéville ; et si cette grande faute a fini par la perdre elle et son chef, en jetant l’un sur le rocher de Sainte-Hélène, et en resserrant l’autre dans les étroites limites de l’ancienne monarchie, elle n’a pas le droit d’en accuser l’ambition de Napoléon, car elle est devenue sa complice : elle a été solidaire de ses fautes comme de sa gloire et de ses malheurs.

Dès que Napoléon se fut convaincu qu’entre la France, telle que l’avait constituée le traité de Lunéville, et les grandes monarchies, il n’y avait pas de pacification possible, la guerre, dans ses redoutables mains, changea de caractère. Elle ne fut plus un moyen pour maintenir la France au point de grandeur où l’avaient élevée les victoires de la république, il en fit une arme de destruction contre tous ses ennemis ; et comme ses ennemis formaient toute la vieille Europe monarchique, c’est l’Europe tout entière qu’il résolut d’attaquer dans ses fondemens, pour ensuite la réorganiser sur des bases nouvelles plus en harmonie avec les intérêts sociaux et extérieurs de la France.

Afin d’accomplir cette œuvre immense de destruction et de recomposition, il avait à choisir entre deux systèmes. Il pouvait imiter la politique de la convention et du directoire, ajouter à la force de ses armées et de son génie celle du levier révolutionnaire, au lieu de relever le trône de Louis XIV et de s’y asseoir, consacrer sa force à les ébranler tous, rester le soldat de l’égalité et de la liberté, et ne briguer d’autre gloire que celle d’être le héros de la réforme européenne. Mais l’homme qui organisait si puissamment le pouvoir en France, eût été inhabile à fonder la liberté en Europe. Dompter la révolution dans l’intérieur et la déchaîner sur le continent étaient deux tâches contradictoires. Napoléon se dessaisit donc volontairement d’une arme terrible avec laquelle il aurait pu soulever le monde et en changer la face ; il mit les