Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/266

Cette page a été validée par deux contributeurs.
262
REVUE DES DEUX MONDES.

Lorsqu’au mois d’août 1811, il donna ses ordres pour compléter son vaste système d’armemens, ce fut autant pour effrayer le czar et le faire fléchir que pour se mettre en mesure de commencer la guerre au printemps de 1812, si toute possibilité de l’éviter était détruite. L’avenir restait encore à ses yeux vague et plein d’espérances. La levée de 1812 fut décrétée. Nos grandes masses d’infanterie et de cavalerie passèrent le Rhin et furent dirigées sur Erfurth et Magdebourg ; les garnisons de Dantzick et de Stettin, et leur artillerie, furent encore augmentées ; les armées du grand-duché de Varsovie et de la Saxe furent portées à leur plus haut développement, et mises sur le pied de guerre. Enfin tout en France se prépara pour l’entreprise la plus gigantesque des temps modernes.

Napoléon espérait beaucoup de l’impression qu’allaient produire en Russie ces grandes mesures. Elle fut en effet très vive, et, dans le premier moment, on put croire que la Russie épouvantée allait fléchir et s’humilier. Tant que la guerre avait été éloignée, la cour de Saint-Pétersbourg avait paru la braver ; maintenant qu’elle approche, on en calcule avec effroi toutes les chances terribles : l’opinion en Russie s’agite et se trouble ; les salons cessent de déclamer contre nous ; les meilleures têtes de l’empire s’inquiètent d’une lutte dans laquelle les Russes vont avoir à combattre toutes les forces de l’Occident. La cour partage l’anxiété générale. Alexandre maîtrise les mouvemens de son orgueil : il veut, pour le moment, nous désarmer ; et, pour y réussir, il se fait humble et suppliant. Le 30 janvier 1812, il vient d’apprendre la direction de nos masses sur Erfurth et le départ prochain de la garde impériale de Paris. Il dit avec l’accent d’une véritable douleur au comte de Lauriston, qui avait remplacé, dans l’ambassade de Saint-Pétersbourg, le duc de Vicence : « Voilà des faits et une conduite qui prouvent bien la résolution de me faire la guerre ; dites cependant à votre maître que ma patience ne s’épuisera point : elle sera constante jusqu’au bout. Je le répète, il lui faudra venir me chercher, car je n’irai pas au-devant de lui : je n’ai eu aucune communication avec l’Angleterre depuis mon alliance avec la France. Répétez bien à l’empereur que je n’en aurai pas avant qu’il ne m’ait tiré un premier coup de canon. Je ne veux pas l’attaquer. Je sais quel est son génie, les ressources que lui offrent ses généraux et ses officiers, mais j’ai de bons soldats, et, s’il m’attaque, nous nous défendrons bien : il en coûtera bien du sang ; mais du moins, je n’aurai pas une seule agression à me reprocher. Je n’ai fait aucune demande, je n’ai dépouillé personne. L’empereur Napoléon perdra en moi un ami, un bon allié : j’ignore ce qui arrivera ; mais j’ai la satisfaction d’avoir tout fait pour éviter la guerre. » En disant ces dernières paroles, il était sérieusement affecté ; sa figure était altérée.

La crainte de la guerre à Saint-Pétersbourg ne se manifestait pas seulement par des paroles, mais par des actes. Sur l’affaire d’Oldenbourg, le cabinet russe se montra aussi facile qu’il avait été jusqu’alors inflexible. Erfurth, d’abord dédaigné comme une indemnité insuffisante, fut jugé très convenable, pourvu qu’on y joignît quelques accessoires de peu d’importance, seu-