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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

si elle est inévitable, l’ajourner du moins à l’année 1812, Napoléon se décide à écrire (6 avril 1811) à l’empereur Alexandre, dans le but tout à la fois de le rassurer sur ses propres armemens, et de le faire s’expliquer sur les mouvemens des Russes et des Prussiens.

Après avoir protesté de ses intentions pacifiques, il ajoute : « On a tant dit à votre majesté que je lui en voulais, que sa confiance en a été ébranlée. Les Russes quittent une frontière où ils sont nécessaires pour se rendre sur un point où votre majesté n’a que des amis. Cependant j’ai dû penser aussi à mes propres affaires, et me mettre en mesure. Le contre-coup de mes préparatifs portera votre majesté à accroître les siens ; ce qu’elle fera, retentissant ici, fera faire de nouvelles levées, et tout cela pour des fantômes. Ceci est la répétition de ce que j’ai vu en Prusse en 1806, et à Vienne en 1809. Pour moi, je resterai l’ami de la personne de votre majesté, même quand cette fatalité, qui entraîne l’Europe, devrait un jour mettre les armes à la main à nos deux nations. Je ne me réglerai que sur ce que fera votre majesté ; je n’attaquerai jamais ; mes troupes ne s’avanceront que lorsque votre majesté aura déchiré le traité de Tilsitt. Je serai le premier à désarmer, si votre majesté veut revenir à la même confiance. A-t-elle jamais eu à se repentir de la confiance qu’elle m’a témoignée ? »

Le désir de l’empereur d’éviter cette année une rupture s’exprime non moins vivement dans ses entretiens avec le prince Kourakin. « Que votre empereur précise ses vœux, lui dit-il ; si ce qu’il désire est faisable, nous le ferons… Vous nous parlez de vos sentimens pacifiques, et les faits démentent vos paroles ; au lieu de venir à nous un bâton blanc à la main, c’est le casque en tête que vous vous présentez. »

À toutes ces plaintes, Alexandre répond que ses sentimens pacifiques n’ont jamais changé : ses armemens n’ont qu’un caractère défensif ; ils n’ont été que le contre-coup nécessaire de ceux de la France. « On me reproche, dit-il au duc de Vicence, de ne point m’expliquer ; je l’ai fait depuis longtemps. C’est l’empereur Napoléon qui ne répond à rien de ce que je lui ai demandé. Je veux l’alliance, et comme empereur de Russie et comme homme. On m’accuse de vouloir la guerre ; mais la guerre n’est-elle pas pour moi pleine de chances périlleuses, avec un rival tel que l’empereur Napoléon, et surtout dans l’état d’isolement de tous mes alliés naturels, où je me trouve par suite de ma fidélité à l’alliance ? Je demande qu’on réprime les passions soulevées du grand-duché de Varsovie, et que cet état désarme ; qu’on rétablisse le duc d’Oldenbourg dans sa principauté, l’inconvénient d’être enclavé dans l’empire français étant mille fois moindre que celui de perdre son état. Erfurth n’est point une indemnité suffisante ; qu’on m’en propose une convenable, et je l’accepterai. »

Les deux empereurs semblaient s’attacher, dans leurs lettres et leurs discours, à ne dire ni l’un ni l’autre le fond de leurs pensées, s’échauffant sur des intérêts secondaires qui n’étaient que des prétextes, et se taisant sur les griefs véritables, sachant bien qu’aborder de si brûlantes questions, c’était