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mençait, et Napoléon ne désespérait point d’éviter la guerre. Ses armemens n’avaient point encore perdu leur caractère simplement menaçant pour devenir tout-à-fait offensifs, et ses actes diplomatiques portaient un cachet de prudence et de réserve extrêmes. Il n’opposa qu’un silence absolu aux prières de la cour de Berlin, et, comme s’il eût voulu soumettre sa résignation à des épreuves dernières et décisives, il lui demanda de lui ouvrir une route militaire de Stettin à Dantzick, afin d’être en mesure d’augmenter la garnison et le matériel de cette dernière place. C’était exiger de la Prusse qu’elle lui livrât une partie de son territoire. La mesure de nos exigences était comblée. Elle fléchit encore, et bientôt la nouvelle route militaire fut couverte de nos bataillons et de nos convois d’artillerie. En retour de tant d’humilité, le roi Frédéric-Guillaume ne demandait qu’une chose, c’était l’alliance ; il l’implorait comme un gage de salut. Mais le moment n’était pas encore venu pour l’empereur de rompre son terrible silence. Alors on frémit de crainte à Berlin ; on se persuada que toutes nos exigences n’avaient qu’un but, celui de pousser la Prusse à bout de patience et de résignation (12 juin 1811), de la jeter dans quelque mesure violente, afin d’avoir un prétexte pour fondre sur elle et la détruire. Au milieu de ces angoisses, la cour de Berlin prit une résolution désespérée (20 juillet 1811) : dussent ses armemens précipiter sa ruine (22 juillet 1811), elle envoya l’ordre secret à tous les soldats en semestre de rejoindre leurs corps, à toutes les places fortes de se mettre sur le pied de guerre, à tous les chefs militaires de former des camps, et, sous prétexte d’exercer les troupes, de les diriger sur la Vistule, comme pour se lier au mouvement des Russes, et protéger la fuite du roi et de la cour. À ces nouvelles, l’empereur Napoléon s’alarma et conçut à son tour des soupçons ; il savait combien il était haï à Berlin. Dans des temps ordinaires, il eût ajouté foi aux protestations du roi ; sa moralité eût été pour lui la meilleure de toutes les garanties. Mais aux situations extrêmes, les remèdes extrêmes. On pouvait tout craindre d’une cour placée dans d’aussi affreuses circonstances. Peut-être les offres du roi n’étaient-elles qu’une perfidie pour masquer une trame ourdie de longue main avec la cour de Saint-Pétersbourg. Ces armemens de la Prusse, qui coïncidaient si parfaitement avec la concentration des armées russes sur les frontières polonaises, et avec la dislocation de l’armée du Danube, n’étaient-ils pas les indices d’une invasion prochaine du grand duché de Varsovie par les Russes ? Dans le doute, Napoléon prend ses mesures comme si les armées d’Alexandre allaient déborder sur la Vistule, et se réunir aux Prussiens (août 1811). Les garnisons de Stettin et de Dantzick furent encore augmentées ; toute l’armée saxonne fut dirigée sur les frontières prussiennes ; l’armée du prince d’Eckmuhl fut portée à 100,000 hommes, en sorte que la Prusse fut cernée de toutes parts. Si un seul bataillon russe avait mis le pied sur le territoire du grand-duché de Varsovie, l’ordre était donné de tous les points, nos armées et celles de nos alliés fondaient sur la Prusse et l’écrasaient.

Cependant Napoléon, qui veut réellement éviter la guerre s’il le peut, et,