Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
REVUE DES DEUX MONDES.

le fit avec un désintéressement, une simplicité, une noblesse, qui ne sont pas de ce siècle. Loin de vouloir tirer aucun parti de sa mission, il y consacra une portion de son immense fortune. On ne saurait évaluer à moins d’un million de francs, les premiers frais de propagation de sa doctrine, tant par la presse périodique que par des brochures tirées à cent mille exemplaires, et ce million fut payé des deniers de M. Owen. Quand, plus tard, il s’agit d’ouvrir des souscriptions pour fonder des colonies expérimentales, M. Owen figura toujours, pour une somme importante, en tête de la liste des souscripteurs. Richesse, santé, ambition, loisirs, jouissances du luxe, M. Owen sacrifia tout à son rôle d’adoption ; il y apporta autant d’opiniâtreté que de grandeur d’ame, autant d’abnégation que de vertu. De 1812 à 1817, sa vie est un triomphe, de 1817 à 1824, elle est un combat. Dans la première de ces périodes, à l’aide de meetings, de prédications publiques, de tracts, petits imprimés distribués gratuitement dans les rues, il était parvenu à s’emparer de l’attention publique ; il avait pu se faire écouter d’un comité de la chambre des communes, pour lequel il rédigea un rapport sur les pauvres employés dans les manufactures ; il avait développé largement ses idées par toutes les voies, soit dans le Brithsh Stateman et dans plusieurs autres feuilles périodiques, soit à l’aide de manifestes innombrables adressés à toutes les classes et à tous les corps d’état ; enfin, et ce qui était bien plus important, il avait réussi à ouvrir une souscription, en tête de laquelle il se trouvait inscrit, lui et son banquier, M. Smith, chacun pour une somme de 1,000 livres sterling (12,500 francs). On devait, avec les fonds recueillis, acheter en Écosse, à Motherwell, cinq cents acres de terres et y élever les constructions nécessaires pour une colonie d’essai. Ne renfermant pas sa propagande dans les limites de la grande île, M. Owen avait traversé la mer, et était allé porter à l’Irlande, ce malheureux satellite de l’Angleterre, des paroles d’espoir, de consolation et de bonheur. Dans trois assemblées présidées par le lord-maire, il avait, à Dublin, posé les bases d’une société philantropique qui devait s’organiser et se constituer plus tard.

Tout semblait marcher au gré du novateur, quand sa franchise austère vint se heurter contre deux écueils, l’opinion religieuse et l’opinion radicale. Peu explicite jusqu’alors en matière de culte, M. Owen s’était borné à prêcher une inaltérable tolérance pour tous, sans rompre en visière à aucun ; mais, vers 1817, préférant une lutte ouverte à des hostilités sourdes, il dégagea du sein de son système une révolte qui y était demeurée jusqu’à ce moment à l’état implicite,