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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

soumis à l’empire, il fallait qu’il entrât de gré ou de force dans le système général qui avait déterminé les réunions. Mais le duc était oncle de l’empereur de Russie, et le duché, une donation de ce souverain. Alexandre avait formellement stipulé à Tilsitt la conservation de cet état. À tous ces titres, le duc d’Oldenbourg avait droit aux ménagemens de la France. Aussi, Napoléon lui avait-il d’abord laissé l’alternative d’accepter une indemnité à la place de son duché, ou de le conserver, à condition qu’il serait soumis à toutes les charges résultant de sa nouvelle situation. Mais le duc, trop prudent pour décider du sort de son duché sans l’assentiment de l’empereur Alexandre, commença par rejeter toute proposition de nature à altérer, en quoi que ce fût, l’indépendance de sa souveraineté. Napoléon apprit presque en même temps ce refus et celui d’Alexandre d’interdire ses ports aux bâtimens neutres. Décidé à ne plus garder de ménagemens vis-à-vis de la Russie, peut-être même heureux de pouvoir se venger des derniers torts d’Alexandre sur la personne de son oncle, il ordonna au général Compans (décembre 1810) d’occuper militairement le duché d’Oldenbourg, et cette occupation consommée, un décret impérial déclara le duché réuni à l’empire. Cette spoliation s’accomplit, il faut bien le dire, avec un déplorable mépris de toutes les convenances. La demeure du duc fut violée, nos soldats placés aux portes de son palais, et les scellés partout apposés. En réparation de tant de violences, l’empereur se borna à donner au duc une vague promesse d’indemnité.

Cette conduite affligea beaucoup l’empereur Alexandre. Sa dignité de souverain protecteur du duc d’Oldenbourg, son oncle, se trouvait gravement compromise. En fait d’égards et de procédés, ce prince exigeait beaucoup des autres parce que lui-même accordait beaucoup à leur amour-propre. Puis, il voyait avec une extrême douleur ses combinaisons de prudence et de ménagemens bouleversées par la politique impétueuse de son rival. Il voyait la guerre, que tous ses efforts tendaient à conjurer pour le moment, s’approcher à grands pas. Pendant plus de huit jours, les portes de son palais restèrent fermées à notre ambassadeur, auquel cependant il portait un attachement d’ami. Lorsque la première émotion eut été calmée (16 janvier 1811), il le fit venir, et il lui dit, avec une expression de tristesse profonde, que son allié venait d’attenter de la manière la plus flagrante au traité de Tilsitt, qui avait garanti positivement au duc d’Oldenbourg et sa principauté et son indépendance ; qu’on ne pouvait voir dans cette spoliation qu’un dessein marqué de faire une chose offensante pour la Russie. « Quelle pouvait donc être la cause d’aussi étranges procédés ? voulait-on le forcer à changer de route ? On se trompait : d’autres circonstances aussi peu agréables pour son empire ne l’avaient pas fait dévier de ses principes ; celles-ci ne le feraient pas changer davantage. Ce n’est point la perte d’un petit coin de terre, ajouta-t-il, qui me blesse, mais la forme qu’on y a mise : toute l’Europe a vu dans cette réunion un soufflet donné à une puissance amie. Il ne me reste plus qu’à protester contre cette violation des traités. » Puis, comme s’il eût craint d’avoir été trop