Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/247

Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

venait point à les protéger. Les autorités russes, sauf le cas de corruption, retrouvaient toute leur pénétration dès qu’il s’agissait de les atteindre et de les confisquer. Là s’arrêta, pour la Russie, la limite du système continental. Cette puissance, privée de colonies, se trouvait placée dans des conditions géographiques qui la rendaient, quant à l’usage des denrées coloniales, tout-à-fait dépendante des nations maritimes. Lorsqu’elle rompit avec l’Angleterre et s’unit à la France, une grande question dut se présenter à elle. De quelles mains recevrait-elle désormais les denrées coloniales dont elle ne pouvait se passer ? De l’Angleterre ? Mais le but de l’alliance était précisément de fermer le continent à tous ses produits, spécialement à ses produits coloniaux, qui, depuis la guerre, étaient devenus l’élément principal et comme le fond de son commerce. De la France ? Mais la mer lui était interdite, et son commerce anéanti. Des neutres ? Mais le gouvernement britannique, par les ordres du conseil, et la France, par ses décrets de Berlin et de Milan, avaient comme détruit le pavillon neutre. Il n’y avait plus que des Américains et des Suédois qui s’étaient mis au service du commerce anglais. D’ailleurs, l’Angleterre, par ses escadres et ses positions formidables, tenait dans ses mains les clés de la Baltique. Les portes du Sund ne s’ouvraient et ne se fermaient que selon son bon plaisir. Pas un bâtiment ne pouvait entrer dans cette mer, ni en sortir, sans essuyer la visite ou le feu de ses croisières. Aussi, était-ce sur ce point du globe qu’elle avait organisé cette immense contrebande dont la Suède était le vaste entrepôt, et dont Napoléon poursuivait la destruction avec une incroyable ardeur. Certes, elle n’eût toléré l’entrée dans la Baltique d’aucun navire qui n’eût été d’origine anglaise, ou qui n’eût navigué en tout ou en partie pour son propre compte. La Russie ne pouvait donc recevoir les denrées coloniales nécessaires à ses besoins que par la voie directe de l’Angleterre ou par sa permission. Aussi, en dépit de tous les engagemens pris à Tilsitt et à Erfurth, ne cessa-t-elle pas un seul jour d’entretenir avec l’ennemi commun, par l’intermédiaire des navires américains et suédois, des relations de commerce. Mais, nous le répétons, sauf les cas assez nombreux de contrebande, ces relations restèrent restreintes au commerce des denrées coloniales, et elles le furent dans la limite des besoins de la consommation indigène.

L’Angleterre se vengea des mesures prohibitives dont la Russie frappait ses marchandises manufacturées, en repoussant ses bois, ses chanvres, ses blés, ses pelleteries, tous objets d’un volume considérable, et sur lesquels la fraude n’avait point de prise, ce qui détruisit, au préjudice de la Russie, toute espèce de balance dans le commerce d’échange entre les deux puissances, amena la baisse rapide de son change, et répandit une extrême souffrance dans les fortunes de la noblesse, toutes fondées sur l’exploitation du sol. Les Anglais s’approvisionnèrent en Suède et dans l’Amérique du Nord des objets qu’ils avaient jusqu’alors tirés de la Russie.

Ainsi, le système continental n’avait reçu dans cet empire qu’une demi-exécution ; il y avait été forcément tronqué et rapetissé aux mesquines proportions