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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

anglaises. Elle allait donc entrer enfin dans ce vaste réseau du système continental, et c’était là, pour Napoléon, un succès immense. Si la Russie secondait ses mesures, la soumission de la Suède devait porter à l’Angleterre un coup décisif et mortel.

Le tarif de Trianon et le brûlement des marchandises anglaises devaient compléter cet ensemble de mesures violentes, mais indispensables pour forcer à la paix notre puissante ennemie. Malgré la sévérité de nos décrets, la contrebande anglaise réussissait à jeter sur le continent un grand nombre de produits coloniaux. Napoléon voulut l’atteindre jusque dans les magasins du continent. Il décréta dans ses états et fit adopter par tous ses alliés un tarif connu sous le nom de tarif de Trianon, qui frappait d’un droit de 60 pour 100 toutes les denrées coloniales, sans exception, trouvées chez les marchands. En même temps que cette mesure devait décourager la contrebande, elle allait assurer le débit, sur tous les marchés de l’Europe, des produits coloniaux que la France se procurait par la voie des licences. Les produits coloniaux ou autres, convaincus d’appartenir au commerce anglais, furent condamnés à être non-seulement saisis, mais brûlés.

Le concours de toutes ces mesures tendait à l’exclusion absolue des denrées coloniales de tout le continent, et les populations ne pouvaient cependant se passer de ces produits. L’industrie du sucre indigène n’existait encore qu’en germe, germe précieux que l’avenir devait féconder ; les plantations d’indigo, de coton, dans les contrées méridionales de l’Europe, étaient des essais plus ou moins heureux, mais, pour le moment, de nulles ressources. Napoléon sentit la nécessité d’ouvrir une issue aux produits coloniaux. Il créa l’usage des licences. Des diplômes accordèrent à un certain nombre de négocians français le privilége d’importer directement d’Angleterre et de ses colonies, dans les ports français, des denrées coloniales, sous la condition expresse que leurs navires exporteraient en échange, en Angleterre, des produits d’industrie française. Ces licences étaient vendues fort cher aux négocians, ce qui était un moyen de maintenir à un taux très élevé le prix des denrées coloniales et d’en limiter la consommation aux besoins de la plus stricte nécessité. Mais les conditions auxquelles on accordait les licences ne furent point remplies ; l’Angleterre, trop heureuse de nous vendre ses denrées coloniales et de recevoir, en échange, nos céréales dont elle manquait, refusa d’admettre les produits de notre industrie manufacturière, en sorte que nos armateurs qui, pour se conformer aux règlemens des licences, étaient forcés de charger leurs navires avec des produits de cette nature, étaient réduits à les vendre à vil prix à des navires américains qu’ils rencontraient dans leur traversée, et bien souvent à les jeter à la mer. Les licences étaient réellement un adoucissement aux rigueurs du système continental ; elles furent cependant une des causes qui exaspérèrent le plus les gouvernemens et les populations étrangères contre l’empereur. Trompés par les libelles anglais qui exagéraient à dessein le nombre de ces priviléges accordés à nos négocians, ils accusèrent Napoléon d’imposer à ses alliés d’affreuses privations, tandis