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j’étais lieutenant d’artillerie, je l’élevai sur ma solde, je partageais avec lui le pain que j’avais, et voilà ce qu’il me fait ! » On assure que la force de l’émotion lui arracha des larmes. L’abdication du roi de Hollande ne lui laissait point le choix entre deux partis ; reconnaître la régence de la reine et occuper le pays militairement était une mesure extrême qui offrait tous les inconvéniens de la conquête sans aucun de ses avantages. La réunion à la France était le seul parti possible. La condition matérielle des Hollandais ne pouvait qu’y gagner ; la mer leur étant fermée, ils entreraient du moins dans la sphère de puissance et de commerce dont la France était le centre et le pivot. C’est à cette résolution (1er juillet 1810) que s’arrêta l’empereur ; un sénatus-consulte du 10 décembre 1810 sanctionna la réunion de la Hollande à l’empire français. La nation hollandaise, par sa résignation silencieuse, sembla ratifier la destruction de sa nationalité qu’elle avait cependant autrefois achetée par soixante ans des plus héroïques efforts.

Du reste, l’accroissement forcé de puissance matérielle qui en résulta pour l’empereur Napoléon fut un grand malheur dans sa destinée politique. Il contribua presque autant que la guerre d’Espagne à ruiner sa puissance morale en Europe. Ses ennemis, qui étaient partout, qui remplissaient toutes les cours, qui entouraient tous les trônes, se répandirent en lamentations sur le sort des Hollandais, de ce peuple infortuné, dirent-ils, auquel notre alliance avait déjà coûté ses plus belles colonies. Les passions déjà bien hostiles contre nous s’envenimèrent davantage ; nos amis se refroidirent ; enfin tous ceux qui se flattaient de trouver dans notre alliance un adoucissement à leurs maux désespérèrent tout-à-fait de notre modération.

En Russie, surtout, la réunion de la Hollande produisit une impression déplorable. Napoléon, soit orgueil et répugnance à justifier ses actes, soit que, dans le secret de son ame, maintenant que le coup était porté et que la Hollande s’était faite en quelque sorte sa complice par son consentement tacite, il résolût de conserver ce pays à la France, Napoléon ne fit parvenir à Saint-Pétersbourg aucune parole d’explication sur la prise de possession de ce royaume. Évidemment, Alexandre s’attendait à ce que la France lui présenterait la réunion comme une mesure temporaire exigée par d’impérieuses circonstances, et qui ne dépasserait point le terme de la guerre maritime : cette explication impatiemment désirée, Napoléon ne la donna pas, et Alexandre en fut blessé. Il interpréta de la manière la plus fâcheuse le silence de l’empereur ; il vit un emportement d’ambition là où sans doute il n’était entré qu’une combinaison de guerre contre l’Angleterre : sa méfiance s’en accrut, et il résolut plus que jamais de chercher partout des points d’appui contre une ambition qui débordait de toutes parts.

Les villes anséatiques, Cuxhaven, une partie de la Westphalie, et en général les embouchures du Weser, de l’Ems et de l’Elbe, étaient autant de foyers de contrebande anglaise. Les mêmes nécessités qui avaient amené la réunion de la Hollande motivèrent aussi la réunion de tous ces territoires. Elle fut consacrée par le sénatus-consulte du 13 décembre 1810. Il en fut de