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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

en acceptant les 400,000 Galliciens qui lui étaient échus en partage par le traité de Vienne, et qu’elle s’était vainement humiliée à lui redemander.

Plusieurs mois s’étaient passés pendant lesquels la cour de Vienne s’était épuisée en protestations de dévouement pour nous ; l’empereur Napoléon n’y avait encore répondu que par de vagues promesses d’amitié et de bons offices, lorsqu’un évènement grave fut pour cette cour une occasion décisive de le faire expliquer.

Les Russes avaient ouvert la campagne de 1810 par de grands succès. Ils avaient franchi le Danube, s’étaient emparés des places de Silistrie et de Bazardjick, avaient envahi la Bulgarie et s’étaient avancés jusqu’au pied des Balkans, avec l’intention de forcer ces fameux passages et de s’emparer de Constantinople. Mais le grand-visir les défendait avec 60,000 hommes ; il avait pris à Schumla une position formidable, contre laquelle vinrent se briser les efforts des Russes, qui, après d’impuissantes et meurtrières attaques, furent obligés de regagner le Danube, avec une armée fort affaiblie. C’était là un échec véritable : l’orgueil et la joie étaient rentrés dans le divan ; on applaudissait à Vienne, quand un grand désastre vint tout à coup replonger la Porte dans le désespoir. Le grand-visir avait poursuivi les Russes dans leur retraite sur le Danube, et avait pris position avec une armée de 40,000 hommes sur la Yanka, annonçant l’intention de venir débloquer la ville de Routshouk qu’assiégeaient les Russes. Alors le général Kamenskoi, qui les commandait en chef, se décida à prendre l’offensive ; il ne laissa devant Routshouk qu’un faible corps, et se porta de sa personne avec le gros de son armée contre le grand-visir, le surprit à Batin (juin 1810), et le défit complètement. L’armée ottomane perdit, dans cette fatale journée, ses bagages, ses munitions, et tout son matériel. L’armée elle-même se trouva comme dissoute. Ceux que le fer ou le plomb des Russes avaient épargnés, se débandèrent, et les Balkans se trouvèrent pour cette fois sérieusement menacés et à découvert. Les places de Szistaw, de Routshouk, de Giorgiev et de Nicopoli, se rendirent aux Russes, auxquels la victoire semblait ouvrir le chemin de Constantinople. La nouvelle de la bataille de Batin produisit à Vienne une impression très vive. La peur, exaltant toutes les têtes, leur montrait déjà les Balkans franchis et la croix grecque arborée sur la mosquée de Sainte-Sophie. Alors la cour de Vienne se décide à une démarche éclatante. Le 6 juillet, M. de Metternich arrive chez notre ambassadeur : « L’empereur, son maître, lui dit-il, est très inquiet des progrès des Russes qui mettent en péril l’existence de la Turquie, et commencent à cerner ses états sur les points les plus vulnérables ; la crise est grave, imminente ; elle exige des mesures promptes, énergiques ; le moment est venu pour la France et l’Autriche de s’unir, afin d’empêcher l’empire ottoman de devenir la proie de la Russie… » Puis, il déclare en termes nets et expressifs que l’Autriche ne peut rester plus long-temps dans la position vague et douteuse où elle est depuis la paix ; il lui faut une base sur laquelle elle puisse se poser ; elle n’a plus qu’un désir, une volonté, c’est de s’unir sans réserve à la France. Dans cette occasion dé-