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protégée à titre égal, et le soin unique de M. Owen était d’empêcher qu’aucune secte n’y prît des allures dominantes. Ainsi, l’on pouvait voir à New-Lanark, vivant côte à côte et en parfaite intelligence, des quakers, des anabaptistes, des anglicans, des catholiques, des presbytériens, des méthodistes, des indépendans, sans qu’aucune de ces églises se sentît tourmentée de ces velléités de prosélytisme auxquelles les sectes religieuses résistent si rarement.

Tel fut New-Lanark sous la main et sous le regard de M. Owen. Pour maîtriser cette société et soumettre ces natures naguère si rebelles, il lui avait fallu prouver seulement avec toute évidence que ce qu’il en faisait était plutôt dans l’intérêt des ouvriers que dans le sien. À l’aide de mesures d’une justice et d’une sincérité invariables, au moyen de procédés d’une bienveillance persévérante et presque systématique, il parvint à démontrer à ces hommes que son seul et vrai désir était d’accroître, non son propre bien-être, mais celui de ses subordonnés. Quand ils furent une fois convaincus de ce fait, ils écoutèrent avec docilité celui qui les gouvernait avec désintéressement et avec sagesse. En même temps qu’il fondait sur cette base les rapports de ces hommes avec lui, M. Owen dirigeait leurs rapports entre eux dans la même ligne d’idées, combattant le vice par le mépris et l’isolement, prêchant la vertu par le spectacle de ses bienfaits et de ses joies. Il créa de la sorte, pour New-Lanark, un milieu nouveau, d’où disparurent toutes les circonstances qui pouvaient servir au développement des mauvais instincts, pour ne laisser de jeu libre qu’aux circonstances, mères d’un esprit d’ordre, de régularité, de tempérance et d’industrie. C’est ainsi que, par calcul autant que par raison, cette population ouvrière se laissa guider dans une voie de réforme, dont sa prospérité et son bonheur formaient le couronnement.

Une fois arrivé là, M. Owen comprit qu’il y avait pour lui un théâtre plus vaste. Il dut se dire et se dit que, si New-Lanark, colonie d’artisans écossais, avait pu être gouverné par le seul code de la raison, sans shériff et sans coroner, il n’existait aucun motif de croire qu’un pareil système ne pût s’appliquer à toutes les sociétés humaines. L’heure, d’ailleurs, était parfaitement choisie pour une propagande. New-Lanark avait fait du bruit en Europe ; il avait occupé beaucoup de têtes et passionné encore plus d’imaginations. Chaque année, deux mille visiteurs, et dans le nombre des personnages importans, parmi lesquels figura l’empereur actuel de Russie, venaient jouir du spectacle de cette colonisation, aussi heureuse, sur les bords de la Clyde, que celle des Battuecas dans sa fabuleuse oasis d’Ibérie, ou celle des