Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

grets comme de ses espérances dans l’intimité des familles ou dans les coteries des salons.

Quant au fond même du pays, il applaudit bien plus franchement encore à l’alliance de famille. Les populations commençaient à subir le prestige attaché à la gloire et aux grands succès : elles éprouvaient je ne sais quel respect mêlé de résignation fataliste pour cette grande France et son illustre chef, auxquels la Providence semblait décidément livrer l’empire du monde ; et puis, elles étaient à bout d’énergie, fatiguées de toujours combattre sans jamais vaincre. Les intérêts publics et privés avaient tant souffert, le deuil et la ruine avaient frappé tant de maisons, qu’on n’aspirait plus qu’au repos. On voulait la paix à tout prix, fût-ce une paix sans honneur ni dignité.

Le mariage et tout le système politique qui s’y rattachait rencontrèrent donc en Autriche une approbation générale. Il y eut sans doute des ames trop passionnées pour se résigner et se taire, des ambitions déçues et irritées, des amours-propres que blessa l’élévation de Marie-Louise. L’impératrice sa belle-mère et l’archiduchesse Béatrix en conçurent, dit-on, une vive jalousie, mais c’étaient là des adversaires peu redoutables. Ils formèrent des coteries, mais point de partis, des intrigues et non une opposition sérieuse : ils avaient contre eux la raison politique et le pays tout entier.

Dans les calculs et les espérances de la cour de Vienne, le mariage devait conduire à l’alliance politique, et l’alliance politique à un changement complet dans le système fédératif de la France. Enlever la France à la Russie et détruire jusqu’aux derniers vestiges du système fondé à Tilsitt, voilà quel était son grand but : à peine le mariage eut-il été conclu, qu’elle se mit sérieusement à l’œuvre pour nous exciter et nous aigrir contre notre allié. Tout ce qu’elle employa de ruses et de mensonges pour arriver à ses fins forme assurément une des pages les plus curieuses de cette grande histoire : dans cette vue, rien ne lui coûta, ni les accusations directes et violentes, ni les insinuations perfides. Afin de nous mieux fasciner, elle simula l’effroi : à entendre M. de Metternich et les archiducs, l’Europe n’avait plus qu’une seule et redoutable ennemie, c’était la Russie. La civilisation de l’Occident était menacée par la barbarie moscovite, et son indépendance, par cet empire formidable qui s’étendait depuis la Laponie jusqu’à la mer Égée. L’empereur Napoléon était seul assez puissant pour le contenir. C’était de sa fermeté et des hautes prévisions de son génie que l’Occident attendait son salut. Dans toutes ces plaintes, il y avait une insinuation évidente et d’une séduction bien perfide : c’est que le moment était venu pour la France de relever la barrière de la Pologne. La cour de Vienne irritait ainsi notre ambition ; elle nous déclarait, sous toutes les formes et à tous propos, qu’elle voulait être française, s’associer à notre gloire, partager nos périls comme notre fortune : en cas de guerre, elle mettait à notre service sa pensée et son bras. Afin de perdre plus sûrement l’empereur Alexandre dans l’esprit de Napoléon, elle attaquait sa sincérité, dénonçait ses relations intimes et secrètes avec le cabinet de Londres, et l’accusait de violer journellement le système continental.