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portée immense. Il ne pouvait y avoir de sûreté pour elle qu’autant que la France et la Russie cesseraient d’être intimement unies. Leur alliance causait son désespoir, puisqu’elle ne lui offrait en perspective que ruine ou servitude. Si elles venaient maintenant à resserrer leurs nœuds par un mariage, elle perdait le seul avantage qu’elle espérait avoir retiré de la dernière guerre, celui d’avoir dissous l’alliance de Tilsitt. Elle tombait de nouveau à la merci de Napoléon et d’Alexandre, n’ayant plus cette fois la force nécessaire pour leur résister. Une alliance de famille avec le chef de la France pouvait seule prévenir un évènement aussi funeste. M. de Metternich aborda le premier ce sujet délicat avec le comte de Narbonne, gouverneur de Trieste, qui se trouvait alors à Vienne. Cette démarche eut lieu dans les premiers jours de décembre. Après avoir d’abord enveloppé sa pensée de voiles diplomatiques, comme c’est l’habitude de son esprit, il finit par s’expliquer clairement. « Croyez-vous, dit-il à Narbonne, que l’empereur Napoléon ait jamais eu l’envie de divorcer avec l’impératrice ? » Sur les réponses vagues du comte de Narbonne, il reprit et s’étendit long-temps et avec chaleur sur les convenances et la possibilité d’une alliance de famille entre les deux cours. Le nom de l’archiduchesse Marie-Louise fut prononcé, puis il ajouta : « Cette idée est de moi seul, je n’ai point sondé les intentions de l’empereur à cet égard ; mais outre que je suis comme certain qu’elles seraient favorables, cet évènement aurait tellement l’approbation de tout ce qui possède ici quelque fortune et quelque nom, que je ne le mets pas un moment en doute, et que je le regarderais comme un véritable bonheur pour mon pays et une gloire pour le temps de mon ministère[1]. »

Il est probable que la dépêche du comte de Narbonne, relative à cette ouverture, parvint à Paris à peu près en même temps que les renseignemens de Caulaincourt sur la complexion délicate de la grande-duchesse Anne. Ces renseignemens durent préparer Napoléon à un refus de la Russie, et le disposèrent tout naturellement à recevoir les offres de l’Autriche. La question du mariage fut entamée avec l’ambassade d’Autriche par un agent non officiel, le comte Alexandre de Laborde ; il en reçut la déclaration formelle que, si l’empereur Napoléon demandait la main de l’archiduchesse Marie-Louise, il trouverait un accueil favorable. Cette négociation fut conduite, de notre côté, avec tant d’art et de réserve, que le nom de l’empereur ne s’y trouva nullement compromis, et qu’il n’y eut d’engagé que la parole du prince de Schwartzemberg, ambassadeur d’Autriche.

L’empereur tenait ainsi dans ses mains les fils d’une double négociation, tout prêt à conclure avec la Russie si elle acceptait, avec l’Autriche si la réponse de Pétersbourg n’était point favorable. Cette réponse arriva enfin.

  1. Les paroles de M. de Metternich prouvent que ce fut l’Autriche, et non la France, comme l’ont avancé plusieurs écrivains, qui prit l’initiative dans l’affaire du mariage. Cette démarche fut faite avant que le divorce ne fût prononcé, tandis que les pourparlers entre le comte de Laborde et le chevalier Florette, secrétaire de l’ambassade d’Autriche à Paris, n’eurent lieu qu’après la consommation du divorce, le 19 décembre.