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SOCIALISTES MODERNES.

venteurs, M. Owen sut faire aussi des emprunts utiles aux systèmes d’éducation alors en vogue, et c’est ainsi qu’il naturalisa à New-Lanark, en les combinant, Bell, Lancaster et Pestalozzi. Quant aux jeunes filles, leur éducation embrassait, comme on le devine, de moins vastes sphères ; l’écriture, la lecture, la couture surtout, tel était pour elles le cercle de cet enseignement, toujours facile et semé d’attraits.

Comme local, l’école de New-Lanark était un fort beau bâtiment, avec des salles pour quatre cents élèves, et une grande galerie intérieure où douze cents personnes pouvaient s’asseoir. De vastes cours, des jardins, des vergers, puis la campagne environnante, étaient le théâtre où les deux sexes, souvent confondus, se livraient à des récréations joyeuses et bruyantes. Quoique toute liberté fût laissée à leurs ébats, il s’était établi parmi les élèves une sorte de discipline et de surveillance mutuelles qui maintenaient dans leurs rangs l’ordre, la justice et l’union. Une méchanceté était punie par le délaissement, peine affreuse pour le jeune âge ; un abus de force était réprimé par l’intervention de la force collective. Parfois encore, au lieu de se livrer à des jeux épars et turbulens, les enfans se réunissaient par groupes dans les salles, pour y exécuter, ou des chœurs, ou des espèces d’évolutions militaires au son du fifre montagnard. Aucun voyageur ne semble s’être dérobé à l’effet produit par ces petites voix d’anges, quand elles entonnaient, avec un délicieux unisson, leur chant national : When first this humble roof I knew (quand pour la première fois je connus cet humble toit). La fraîcheur de ces timbres, l’accord de ces intonations, joints au spectacle de ces visages vermeils, de ces têtes blondes et bouclées, laissaient dans l’ame les impressions les plus satisfaisantes et les plus douces. En d’autres occasions, la danse avait le pas sur le chant, ou bien l’un et l’autre se combinaient de la manière la plus heureuse. L’ensemble de ces fêtes naïves était comme un écho lointain des jeux de la Grèce, et des théories de Sparte avec leurs groupes d’enfans.

Par une innovation inouie en Angleterre, l’éducation de New-Lanark n’impliquait point d’instruction religieuse, spéciale pour aucune secte ; mais les parens demeuraient les maîtres de diriger à leur gré les croyances de leurs enfans, et une tolérance sans limites était la seule impulsion que, pour sa part, M. Owen voulût imprimer dans cet ordre d’idées et de rapports. Il n’était en cela que conséquent avec lui-même, car cet esprit de liberté religieuse était l’un des élémens constitutifs de sa grande colonie. Toute pratique de dévotion y était