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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

graves de sa vie, celle de se séparer de l’impératrice Joséphine et de contracter un nouveau mariage. Les deux époux avaient toujours vécu dans une douce et tendre harmonie, et les exigences de la politique pouvaient seules dissoudre une union qui avait été parfaitement heureuse. Mais il n’était point né d’enfant de ce mariage. Aux yeux de Napoléon, le trône qu’il avait fondé avait besoin, pour être consolidé, d’une autre sanction que celle de sa gloire et de sa puissance ; il lui fallait celle de l’hérédité. Une crainte continuelle obsédait sa pensée, c’est qu’à sa mort tous les intérêts ennemis de son gouvernement ne se réunissent pour détruire l’œuvre de son génie et de ses victoires, et que la France ne devint la proie du jacobinisme ou d’une contre-révolution bourbonienne. « Mes ennemis se donnent rendez-vous sur ma tombe, » s’écriait-il souvent. En devenant le fondateur d’une dynastie nouvelle, il espérait tout à la fois conjurer les coalitions de l’étranger, les complots de l’intérieur, les ambitions de sa propre famille, et intéresser à la conservation de son trône celle des cours de l’Europe à laquelle il s’allierait. Ainsi, le désir de se créer une grande alliance continentale qui l’a porté à chercher successivement son point d’appui à Berlin, à Vienne et enfin à Saint-Pétersbourg, ce désir va le guider encore dans le choix de sa nouvelle épouse. Le dévouement du prince Eugène eut alors à subir de cruelles épreuves. Ce fut lui que l’empereur chargea de préparer sa mère au coup qui, en la frappant, semblait devoir le déshériter de la plus belle couronne du monde. Le vice-roi remplit courageusement sa pénible mission. Les scènes qui se passèrent alors entre la mère et le fils furent déchirantes. Joséphine portait à l’empereur un attachement tendre et sincère. En lui donnant sa main lorsqu’il n’était encore que simple général de la république, elle avait aidé à sa fortune ; elle avait grandi avec lui ; elle avait joui de sa gloire et de sa puissance comme de sa confiance et de son affection. Il y a peu de douleurs humaines comparables à celle qui dut s’emparer du cœur de cette femme, lorsqu’il lui fallut sacrifier à la froide politique ses affections les plus chères et toutes les pompes du trône. La résignation était pour elle une loi ; elle subit son sort, non sans verser d’abondantes larmes.

Le 15 décembre, un conseil extraordinaire fut convoqué aux Tuileries : tous les princes et toutes les princesses de la famille impériale y assistèrent. L’empereur, s’adressant à l’archichancelier prince Cambacérès, lui dit : « La politique de ma monarchie, l’intérêt et le besoin de mes peuples, qui ont constamment guidé toutes mes actions, veulent qu’après moi je laisse à des enfans, héritiers de mon amour pour mes peuples, ce trône où la Providence m’a placé. Cependant, depuis plusieurs années, j’ai perdu l’espérance d’avoir des enfans de mon mariage avec ma bien-aimée épouse l’impératrice Joséphine ; c’est ce qui me porte à sacrifier les plus douces affections de mon cœur, à n’écouter que le bien de l’état, et à vouloir la dissolution de notre mariage. Parvenu à l’âge de quarante ans, je puis concevoir l’espérance de vivre assez pour élever, dans mon esprit et dans ma pensée, les enfans qu’il plaira à la Providence de me donner. Ma bien-aimée épouse a embelli quinze