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DU RÉSEAU DES CHEMINS DE FER.

que le public profane peut, sans manquer aux égards qu’il doit au savoir de nos ingénieurs, appeler de leur décision. L’économie publique est aussi en droit de réclamer voix délibérative en matière de chemins de fer, comme dans toutes les circonstances où il s’agit de grandes entreprises d’intérêts positifs ; et je doute fort qu’elle sanctionne les raisonnemens de nos ingénieurs sur les capitaux[1]

Quant au doublement de la voie, je crois que c’est un sujet sur lequel, sans être un membre éminent de l’Académie des sciences, on peut se former une opinion éclairée. Sur ce point, tout homme de sens est compétent, et j’écouterais plus volontiers l’avis d’un inspecteur des postes ou d’un directeur de messageries que celui du théoricien le plus versé dans les profondeurs du calcul infinitésimal. Que deux voies soient nécessaires à tout chemin de fer aboutissant à Paris dans un rayon de dix ou de quinze lieues, c’est ce que tout le monde accordera, parce qu’il faut, dans ce cas, un départ et une arrivée à chaque heure ou même à chaque demi-heure ; et, cependant, disons qu’avec une seule voie on a eu, sur le chemin de fer de Saint-Germain, un service plus que passablement régulier

  1. En matière de devis, il arrive fréquemment que l’on fasse un raisonnement tel que celui-ci : « Si l’on vise à l’économie du capital, on pourra effectuer telle portion de chemin de fer avec une dépense de 1,200,000 fr. au lieu de 1,500,000 ; mais alors la dépense de traction sera augmentée annuellement de 20,000 francs. En déboursant une fois pour toutes 300,000 fr. de plus pour frais de premier établissement, on évitera donc un déboursé annuel de 20,000 fr. Ainsi, en consentant à ajouter ces 300,000 fr. à la dépense primitive, on se trouvera avoir placé 300,000 fr. à 6 2/3 p. 100, ce qui est un excellent placement qu’il y aurait duperie à refuser. » Cette manière de raisonner est exacte quand il s’agit de petites sommes ; mais elle cesse de l’être lorsqu’il est question de 3 ou 400 millions, car elle suppose qu’il existe dans le pays une masse de capitaux indéfinis où il est possible de puiser ad libitum, comme dans l’Océan, sans qu’il en résulte de perturbation. Or, c’est une hypothèse tout-à-fait gratuite. La quantité des capitaux que l’on peut sans inconvénient distraire du marché financier est bornée en tout pays ; elle l’est particulièrement là où, comme en France, les institutions de crédit existent à peine et où l’organisation des capitaux est défectueuse.

    Au surplus, l’augmentation des frais courans d’un chemin de fer, à laquelle on se soumettrait, en adoptant sur quelques points des pentes supérieures à 3 ou même à 5 millièmes, et des courbes de moins de 1000 mètres ou même de 500 mètres de rayon, serait proportionnellement de beaucoup au-dessous de ce que j’ai supposé dans l’exemple ci-dessus. Avec des courbes d’un petit rayon, on est simplement astreint à ralentir la marche des convois pendant le court instant qu’on passe sur les courbes ; il paraît même qu’avec le système de M. Laignel, on pourrait se dispenser de cette précaution. Avec des pentes de plus de 3 millièmes, qui seraient maintenues sur une certaine longueur, la dépense additionnelle se réduirait, au cas où l’on voudrait conserver partout la même vitesse, à celle d’une machine de renfort qu’on attacherait aux convois pour monter la rampe, tout comme les rouliers prennent un cheval de renfort quand ils ont une côte à gravir. Il y a même des combinaisons de service qu’il serait trop long de détailler ici, et qui diminueraient cette dépense dans une forte proportion. Telles sont celles que j’ai vu recommander à la compagnie du chemin de fer de New-York au lac Érié par une commission d’ingénieurs composée de MM. M. Robinson de Philadelphie, B. Wright de New-York, et J. Knight de Baltimore.