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voies, et s’il ne vaudrait mieux les réduire provisoirement à une seule en construisant cependant les travaux d’art et particulièrement les ponts pour deux voies, et en établissant de distance en distance des places de croisement où les deux voies subsisteraient.

Je ne prétends aucunement déterminer avec quelque précision jusqu’à quel point il convient de s’écarter des règles que nos ingénieurs se sont tracées. Je me réduis à demander qu’avant de considérer ces règles comme devant être rigoureusement maintenues dans tous les cas, comme sacramentelles, on leur fasse au moins subir la formalité d’une enquête non-seulement mathématique, mais aussi commerciale, financière et administrative. Certes, un chemin de fer où il aurait été possible de les observer, vaudrait mieux qu’un autre où on les aurait enfreintes. Mais deux chemins de fer de cent lieues chacun, par exemple, lors même qu’ils présenteraient sous le rapport des pentes ou des courbures quelques imperfections, et sous celui de la continuité des deux voies quelques lacunes, valent mieux, ce me semble, qu’un seul chemin de fer de cent lieues où sur ces trois points on se serait religieusement incliné devant les arrêts de la théorie abstraite. Respectons profondément les sciences mathématiques ; consultons-les, c’est une excellente pierre de touche ; mais les mathématiques ne peuvent prétendre ni à gouverner ni même à administrer seules l’état ; et l’expérience, encore un coup, vaut tous les A + B du monde. Si donc l’expérience démontre que la sécurité publique n’a rien à redouter de pentes de cinq millièmes, et que, pour de courts intervalles on peut sans danger en admettre qui soient de sept millièmes et plus[1] ; si elle déclare que l’on peut très aisément guider les locomotives sur des courbes dont le rayon n’est que la moitié, le quart ou même le dixième du minimum[2] recommandé par le conseil-général des ponts-et-chaussées, il me semble

  1. Il est très fréquent de rencontrer sur des chemins de fer américains, desservis par des machines locomotives, des pentes de 40 à 50 pieds par mille anglais (7 1/2 à 9 4/10 millièmes). Dans quelques cas, on y établit des pentes doubles où cependant le service a lieu par locomotives. Sur le chemin de Liverpool, il y a une pente de 11 millièmes 4/10 desservie par locomotives ; sur ce même chemin, M. Minard mentionne une pente qui va à 22 millièmes, mais qui est munie d’une machine fixe, et traitée par conséquent comme un plan incliné.
  2. Sur la plupart des chemins de fer américains, on admet des courbes de moins de 1000 pieds (300 mètres) de rayon. Sur le chemin de Baltimore à l’Ohio, il y a beaucoup de courbes de 400 à 600 pieds anglais (120 à 180 met.). Il y en a même une de moins de 300 pieds (90 met.). Cependant sur ce chemin on emploie des locomotives ; il a fallu seulement rechercher pour ces machines quelques dispositions particulières qui remédient à tout danger. Les expériences récentes de M. Laignel ont démontré que, par une combinaison simple et ingénieuse, il était possible de conserver une grande vitesse, celle de 9 lieues à l’heure, par exemple, sur des courbes de 500 mètres de rayon.